Le spectacle vivant fait sa mue
Le succès de l’expérience immersive a déclenché une petite révolution dans les théâtres, et même au-delà. En s’emparant aussi des monuments historiques pour dérouler des fictions, et inviter le public à participer au jeu et à l’intrigue, le théâtre se met à explorer de nouveaux modes de relations à l’autre… et au monde.
Résistants, une expérience immersive historique proposée par la compagnie Sculpteurs de Rêves.
Le spectacle immersif a d’abord fait des ravages dans les arts grâce aux nouvelles technologies. Il suffit de voir le succès de l’équivalent parisien des Carrières-des-Lumières aux Baux de Provence : en utilisant la technique du « mapping video » l’Atelier des Lumières, dans le XIème, offre un plongeon époustouflant dans l’œuvre de Pablo Picasso, de Gutsav Klimt ou encore des Orientalistes. Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que l’expérience immersive contamine aussi le spectacle vivant ! Certains y ont vu, après la crise du Covid, une occasion en or de réinventer le lien entre artistes et public, renforcer le contact, interagir, et même influencer le scénario. Un concept qui nous vient du Royaume Uni : la pièce « Sleep no more », adaptation de Macbeth, créée à Londres au début des années 2000, jouait déjà sur ce principe de déambulation libre dans un univers oscillant entre réalité et imagination.
Dans le théâtre immersif qui se rapproche du happening ou de la performance, le spectateur devient un participant actif. Il est invité à faire des choix, à suivre tel ou tel comédien. Chaque moment vécu devient ainsi unique, personnalisé, et modifie l’expérience du collectif. Pour s’en convaincre direction le Château de Maison-Laffitte, dans les Yvelines, pour y vivre une expérience féérique à la nuit tombée proposée par la société Polaris. Le public habillé en costumes d’époques pouvait suivre les aventures de la Belle et la Bête. Une quinzaine de scènes à découvrir lors d’une déambulation, de la cuisine à la salle de bal, une traversée insolite où le public évoluait aux côtés d’une centaine de figurants bénévoles eux-mêmes menés par une poignée de comédiens professionnels. Voilà la dernière tendance pour redonner un coup de jeune aux vieilles pierres de notre patrimoine… Et relancer leurs programmations post pandémie.
Aujourd’hui, de Paris à Vincennes, plus un monument digne de ce nom qui ne cherche à monter sa propre expérience immersive. Récemment la troupe de Polaris a reconstitué au Château de Rambouillet, en partenariat avec le Centre des Monuments Nationaux, les coulisses d’un sommet d’État réunissant le général de Gaulle et Dwight D. Eisenhower en pleine guerre froide. Il y a aussi Crumble Production qui s’est offert, en 2022, comme scène monumentale le deuxième étage du grand magasin parisien Le Bon marché (à l’occasion des 170 ans des lieux). Le temps d’une « murder party » inspirée du roman d’Émile Zola Au Bonheur des Dames. Convié après la fermeture des portes dans un espace métamorphosé, le public avait deux heures pour retrouver l’assassin de la responsable de l’enseigne. Et pour mieux brouiller les codes, chaque visiteur devait se masquer d’un loup. Avis aux amateurs de saga véritable, l’histoire s’invite la plupart du temps dans le scénario. Dans l’ancien Musée de Libération de Paris, logé au-dessus de la gare Montparnasse, ainsi peut-on vivre les grandes heures de la résistance française tout en croisant des figures comme Raymond Aubrac ou Jean Moulin. À chacun des participants de résoudre plusieurs énigmes. « Résistants » est une création de la compagnie des Sculpteurs de Rêves.
En mai ce sera au tour du site du Gouffre de Padirac d’accueillir son spectacle immersif. La compagnie Crumble Production s’est inspirée ici du « Voyage au centre de la Terre » de Jules Vernes pour imaginer une nouvelle expérience à 100 mètres sous terre où l’on pourra suivre le spéléologue Édouard-Alfred Martel, mais aussi Jules Verne et Sarah Bernhardt, dans une exploration de ce « trou du diable ». De cette immersion dans un site exceptionnel à une reconnexion grandeur nature, il n’y a qu’un pas … qui fut franchi l’été dernier durant le Festival d’Avignon. En effet, les festivaliers pouvaient, au petit matin, emboiter le pas aux comédiens de « Que ma joie demeure », une pièce inspirée du livre de Jean Giono et mise en scène par Clara Hédouin. L’autrice embarquait ses spectateurs en pleine campagne de l’arrière-pays d’Avignon, entre clairières et sentiers sentant bon le thym et le pin. Une randonnée-théâtre prenant pour décor le paysage, et même plus que ça : la météo et ses aléas, la lumière du moment, les sons environnants... Une interaction sans filtre. Et un pas de plus vers le vivant.
D’autres tendances du spectacle vivant :
1/ Le journal sur scène
Live Magazine est un journal vivant qui se raconte sur scène au cours d’une soirée pendant lesquels journalistes, photographes, dessinateurs, blogueurs, se succèdent pour raconter chacun, en mots, en sons ou en images, une histoire vécue marquante. Créée en 2014, sur le principe d’une idée venue des Etats-Unis, le spectacle fait un tabac.
2/ Le ciné-concert
L’association du septième art et de la musique jouée en direct. Ce format qui n’est pas nouveau fait de plus en plus d’émules. Une façon de redonner du punch au cinéma. Il n’y a pas mieux pour attirer l’attention des jeunes et des plus petits spectateurs. Pour séduire de nouveaux publics les salles de spectacle les plus prestigieuses usent et abusent de ce format immersif : « Le Seigneur des Agneaux » à la Salle Pleyel, « The Batman » à la Seine Musicale, « Titanic » au Zénith, « Harry Potter et les reliques de la mort » au Palais des Congrès, etc.
3/ Les concerts-conférences
Quand les explications viennent en renfort du son ! Le concert-conférence s’exerce devant un public de passionnés. Le chef d’orchestre prend alors la parole pour décrypter, commenter l’œuvre d’un compositeur, une technique, un mouvement musical, donner des anecdotes ou une analyse... Aux musiciens ensuite d’enchainer par des extraits. S’il est est remis au goût du jour par des ensembles comme celui des Arts Florissants, le format existe depuis belle lurette.
4/ Au bord du plateau
Plusieurs théâtre et festivals remettent au goût du jour les rencontres au bord du plateau. L’équipe du spectacle s’assoie au bord de la scène et invitent les spectateurs à échanger sur la pièce qui vient d’être jouée. À Paris le festival de danse « Open Space » pousse l’expérience un cran plus haut puisque les spectacles présentés sont des courts extraits de futures créations. Ces représentations de travaux en cours sont suivies d’échanges fructueux entre le public qui peut donner son avis.