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« Ajoutons à RSE le « e » de éducation !»

Crise de confiance et fake news : comment les marques peuvent-elles reconquérir leur audience à l’ère de la désinformation ? À l’occasion de la quatrième édition de We Are French Touch, la question a rassemblé autour de la table trois grands acteurs : la maison Lacoste, le média Brut et la spécialiste en économie des médias Nathalie Sonnac. Au menu des échanges, animés par Pierre Olivier Cazenave, directeur de clientèle de Usbek&Rica : stratégies de reconquête, responsabilité sociétale et lutte contre la désinformation.

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FT Crise De Confiance Et Fake News

L’information joue un rôle essentiel dans nos démocraties. Avec l’avènement des réseaux sociaux depuis une quinzaine d’années, et aujourd’hui la montée en puissance de l’IA, les pratiques les plus délétères sont apparues sur les plateformes. Fausses informations, polarisation, instrumentalisation… Dans ce nouveau « far west », les médias et les marques mènent une réflexion parfois commune. Pour en débattre, We Are French Touch a donc invité Nathalie Sonnac, professeure à l'université Panthéon-Assas (présidente du COP, du CLEMI, et du CEDE), Catherine Spindler, deputy CEO de Lacoste et Elsa Darquier Fournier, COO de Brut.

« Le modèle des médias traditionnels est sur le point de vaciller, et avec lui tout un écosystème de garantie d'un processus de production d'une information de qualité », affirme d’entrée de jeu Nathalie Sonnac, citant une étude de l’Arcom (Autorité de la régulation de la communication audiovisuelle et numérique). En 2030, deux tiers des revenus publicitaires seront investis sur les plateformes et non plus sur les médias. Dans cette perspective menaçante pour l’économie de l’information, la réussite du média Brut, pure player des réseaux sociaux, montre que produire une information de qualité est encore possible à l’heure actuelle. « Pour lutter contre la désinformation, chez Brut, nous nous appuyons sur les 150 000 commentaires générés par semaine sur la plateforme », détaille Elsa Darquier Fournier de Brut, s’appuyant sur l’exemple récent de la condamnation de Dominique Pélicot. « Tout le monde a crié au scandale. « Il n'a pas pris la perpétuité ! ». Il y avait une explication de texte à fournir, car la peine maximale en France est de 20 ans. On a donc produit un sujet le jour même pour expliquer le droit français. C'est une richesse d'avoir ce feedback des citoyens et des consommateurs ».
Comment alors utiliser cette intelligence créative et ce goût français pour le débat afin de servir les marques ? « Brut bénéficie d'une forte confiance auprès des jeunes avec 88% de confiance chez les 15-35 ans. Ce qui en fait un tiers de confiance, témoigne la dirigeante. L'association entre un média et une marque permet de protéger cette dernière, tout en véhiculant un message authentique, car le logo d’un média crédibilise l'information. L'enjeu est donc de savoir comment travailler ensemble, sans défiance ».
Des plateformes comme TikTok montrent l'énorme pouvoir du consommateur dans le succès ou l’échec commercial d’un produit. Une donnée majeure dans cet environnement mouvant, pour Catherine Spindler de Lacoste. « Les consommateurs ont le sentiment aujourd’hui d'être beaucoup plus sachants que n'importe qui. Dans ce contexte, Lacoste, avec ses 90 ans d’histoire, choisit de revenir à ses valeurs fondamentales : la véracité, l'authenticité et la qualité des produits. Pour Lacoste, c’est la base de la confiance et de la pérennité, et l’investissement dans des produits de qualité et durables est essentiel pour se maintenir dans ce monde en constante évolution ».

Présenté en septembre 2024, le rapport des « États généraux de l’information » apporte de la visibilité dans ce débat de fond. Selon ses conclusions, le monde en 2050 sera traversé par cinq grands chocs, économique, social, politique, technologique et environnemental. Trois scénarios apparaissent alors. « Le plus optimiste décrit un monde où l'information est en pleine explosion », relate Nathalie Sonnac. Un véritable âge d’or de l’information : « Les individus ne veulent plus de publicité et recherchent des médias qui les informent de manière claire, sécurisée et hiérarchisée. Dans ce scénario, l’information n’est donc plus dépendante du modèle économique de la publicité. Cette évolution ne pourra se faire sans éducation des citoyens aux médias et à l’information », plaide la spécialiste.

Dans cette perspective de bouleversements du modèle publicitaire traditionnel, Catherine Spindler voit pour les grandes marques le choix de deux axes de développement complémentaires. « D’une part, continuer à raconter des histoires captivantes, quasi-cinématographiques, pour transporter les consommateurs dans un univers de rêve et de désirabilité. D’autre part, la publicité au quotidien sera plus axée sur une relation directe entre la marque, le consommateur et les plateformes médiatiques. Les marques devront alors garantir la qualité et la véracité de l’information qu’elles diffusent. Ce changement est déjà en cours, même si sa maturité varie selon les marchés et régions, notamment pour les marques opérant à l’échelle mondiale ».

Pour Elsa Darquier Fournier dont le média est déjà actif dans la production de contenu pour les marques, « dans ce paysage en plein changement, les marques doivent repenser leur approche du community management. Auparavant, il suffisait de publier un contenu et d'éliminer les commentaires haineux. Aujourd’hui, il s'agit d'animer l’audience activement, en intervenant dans les discussions extérieures à leur propre contenu, notamment pour corriger la désinformation. Par exemple, dans le cas d'une marque engagée sur la précarité alimentaire, le rôle du community manager est d'intégrer des initiatives de la marque dans les « feeds » pertinents. Ainsi, le discours de marque se diffuse naturellement ». Selon la COO de Brut, les marques ont un pouvoir unique, notamment lorsqu'elles soutiennent de bonnes causes, et « peuvent changer le monde plus rapidement que les institutions ou pouvoirs publics seuls ».

La révolution est à mener aussi chez les annonceurs, insiste la spécialiste des médias Nathalie Sonnac. « Pourquoi pas un engagement encore plus fort de la part des marques ? Est-ce que ces annonceurs peuvent flécher une partie de leurs dépenses, de leurs annonces, vers des médias tagués "informations politiques et générales" ? Les annonceurs font un travail formidable dans les domaines de l'égalité, de la parité. Ajoutons à RSE un autre "e ", celui de l'éducation. Tout individu qui devient salarié dans une société devrait pouvoir bénéficier d’un stage pour apprendre ce qu’est une information, quel est le processus informationnel, qu’est-ce que l'IA, comment détecter la manipulation… »

Cet engagement demande quelques nuances. Catherine Spindler explique : « Les entreprises prennent de plus en plus conscience de leur responsabilité sociétale, en particulier pour engager les jeunes générations. Cependant, il est crucial qu'elles définissent clairement le rôle qu'elles souhaitent jouer dans la transformation de la société. Certaines entreprises sont critiquées pour ne pas réagir à chaque crise mondiale. Pour être véritablement transformatrices, elles doivent choisir les causes qu'elles soutiennent et s'engager de manière concrète sur ces sujets, plutôt que de se contenter de communiqués superficiels lors de chaque catastrophe ».

Quid des influenceurs à l’horizon 2050 ? « Il devient essentiel de trouver des personnalités capables d'incarner authentiquement une marque ou un produit, en allant au-delà de la simple promotion, défend Catherine Spindler. L'authenticité et la justesse dans cette incarnation seront de plus en plus scrutées. Les influenceurs ne pourront plus promouvoir plusieurs produits en une journée. De plus, le consommateur final prend une place croissante dans l'influence. Certaines plateformes ont donné une grande voix aux consommateurs, qui deviennent eux-mêmes des influenceurs. Les marques doivent donc apprendre à orchestrer ce lien avec les consommateurs de manière appropriée, pour que leur influence puisse nourrir positivement la marque ».

On en revient à la question de l’éducation. « Un point central et essentiel pour éviter la manipulation dans l'influence, insiste Nathalie Sonnac. Le consommateur, qui détient désormais le pouvoir, doit être bien informé pour ne pas diffuser des informations erronées, car les réseaux sociaux et les algorithmes peuvent amplifier la désinformation. Les influenceurs, qui agissent dans un environnement algorithmique, peuvent exercer un pouvoir considérable. Les entreprises et les annonceurs ont un rôle clé dans la formation, en particulier des jeunes, afin de lutter contre la confusion créée par les fake news, l'intelligence artificielle et les deep fakes. Les médias, en tant qu'acteurs essentiels de l'information de qualité, doivent aussi contribuer à cette éducation. Il est crucial de former des community managers et de mettre en place des régulations pour éviter le chaos sur les réseaux sociaux. Cela nécessite une collaboration entre les médias, les annonceurs et les autorités publiques, avec une réglementation pour encadrer ce nouvel écosystème informationnel. Le rôle des annonceurs n’a jamais été aussi important ».

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