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Les coups de cœur d’Elie Top Des « Liaisons dangereuses » à Ingrid Caven

Elie Top est créateur de mode et de bijoux. Ses années auprès d’Yves Saint Laurent et d’Alber Elbaz, puis le lancement de sa propre marque de joaillerie, en 2015, ont fait de lui l’une des personnalités du luxe français que l’on aime suivre. À la French Touch, c’est aussi son esprit brillant, et ce qu’il incarne du Paris élégant, qui nous séduit. Au lendemain de la présentation de sa nouvelle collection, le directeur artistique nous a livré ses inspirations du moment.

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10 min

Elie Top

« Les Liaisons dangereuses »

« J'ai lancé ma dernière collection intitulée « Liaisons dangereuses », inspirée du livre et du film. C’est d’abord le livre qui m’a inspiré, puis le film de Stephen Frears, avec Glenn Close et John Malkovich, que j’ai toujours en tête, que j’ai revu plusieurs fois à partir de l’âge de 12 ou 13 ans. C’est vraiment un fantasme du 18e siècle. Ce qui m’a particulièrement touché, c’est l’esthétique du film. Je trouve que c’est l’une des plus belles reconstitutions d’époque, et l’atmosphère qui s’en dégage, les salons, cette idée du luxe un peu idéalisé, une vision du goût de l’art de vivre à la française. Mais, c’est un fantasme, bien sûr, une vision esthétique, très idéalisée de cette époque. La qualité des costumes m’a fasciné, comme dans « Barry Lyndon », une véritable œuvre d’art. Et cette ambiance m’a inspiré toute la collection que j’ai dessinée. Les lustres en cristal, le jeu des reflets, cette lumière douce et flatteuse qui m’évoque cette époque. Il y a aussi l’influence des jardins à la française, un autre sujet qui me passionne profondément. Tout ce qui touche à l’ordre du tracé, à ce qui est bien dessiné. Je ne suis pas quelqu’un de très organique, je suis plutôt attiré par la symétrie, l’équilibre, la justesse. Ce sont des concepts qui me préoccupent énormément. Et cette période en France, pour moi, c’est une des époques dorées, car ils ont atteint une sorte de perfection dans ces domaines. Enfin, il y a cette retenue dans l’esthétique, ce n’est pas du baroque, c’est du classique, au sens où on le percevait à cette époque-là. Il y a une forme de mesure dans tout cela, une recherche d’équilibre et de proportion qui me touche particulièrement. »

Charm Cécile Cœur

Charm Cécile Cœur

Pendentif Tourvel

Pendentif Tourvel

 

Les diamants anciens

« Cette dernière collection est consacrée aux diamants anciens. Un parti pris esthétique et éthique. Avant tout, je trouve ces diamants vraiment magnifiques. Contrairement aux pierres modernes, ils sont plus imparfaits, plus irréguliers, taillés à la main sans chercher une perfection absolue. Cette irrégularité leur donne un éclat particulier, une lumière atténuée, presque comme éclairée à la bougie, qui crée une émotion unique. En plus de leur beauté, ces diamants sont issus d’une démarche responsable : ce sont des pierres desserties, rachetées auprès de diamantaires, ce qui évite l’extraction minière et l’impact environnemental des diamants de laboratoire. J’aime cette approche traditionnelle où l’on récupère des pierres pour leur offrir une nouvelle vie. Ce choix implique des défis, car ces diamants n’ont pas de formes standardisées, ce qui complique la production. Mais c’est justement ce qui les rend fascinants. Leur histoire, leur lumière et leur imperfection sontau cœur de ma collection. Ce sont des pierres qui ont déjà vécu, qui ont déjà été portées, et c’est cette mémoire que je cherche à transmettre à travers mes créations. »

Boucles D'Oreilles Valmont Dormeuses

Boucles D'Oreilles Valmont Dormeuses

Bague Valmont

Bague Valmont

Athènes

« En ce moment, c’est vraiment cette capitale qui m’inspire. J’y suis retourné récemment, pour la nouvelle année, et j’y ai passé une semaine. C’est une ville que j’adore, que ce soit l’été ou l’hiver. Il y a quelque chose de difficile à décrire dans cette ville. Pour moi, c’est un peu comme Beyrouth, un peu curieux, mais ces deux villes me rappellent beaucoup l’une l’autre.
Ce qui est absolument fascinant à Athènes, c’est l’Acropole. Elle domine la ville, toujours là, toujours présente. C’est un peu comme la crèche à Bethléem, un lieu où tout s’est joué, tout a commencé, c’est là que ça s’est passé. C’est très émouvant de se retrouver dans ce lieu, de savoir qu’on est au cœur même de la philosophie occidentale, de cette pensée dont nous héritons tous. Ça a un effet extrêmement fort. Et il y a cette mémoire des pierres, c’est juste fascinant. Le musée archéologique est également incroyable, surtout pour la sculpture. Tout y est absolument fascinant, des bronzes aux marbres. Il y a une richesse dans ces lieux, une puissance dans leur présence. Ce qui est marquant à Athènes, c’est que l’Acropole surplombe la ville, mais elle n’est pas écrasante. Elle n’est pas oppressante, c’est plutôt un rappel constant, comme un petit tapotement sur l’épaule. La ville elle-même est un peu désordonnée, pas vraiment propre, avec ce mélange de vieilles maisons du 19e, de ruines et de bâtiments modernes. C’est cette juxtaposition qui fait son charme. Athènes est un peu comme Beyrouth dans ce sens-là, une ville assez bordélique, un peu cassée, mais pleine de surprises.
En ce moment, il y a aussi une scène artistique qui se développe. Il y a de plus en plus de gens qui s’y installent, ce qui rend la ville encore plus dynamique. C’est une ville douce, avec des orangers dans les rues, et même en hiver, il y a cette forme de mélancolie qui s’installe, avec un peu de froid. Ce n’est pas un froid habituel, mais il y a quelque chose de charmant là-dedans, une atmosphère unique. »

 

Les Demoiselles de Rochefort

« Si vous me parlez de réconfort, j’irais vers la musique. Jeanne Moreau, bien sûr. Mais il y a aussi un film, un vrai réconfort pour moi, c’est « Les Demoiselles de Rochefort » de Jacques Demy. Ce film, c’est comme un refuge. Je pourrais le revoir mille fois. Ce que j’aime, c’est cette ambiance... presque un rêve en technicolor, avec des couleurs tellement vives, et un univers complètement reconstitué. C’est le genre de film où, quand vous le voyez, vous vous dites "c’est là que j’aurais aimé vivre", cette ville colorée où tout semble possible. Et puis, récemment, j'ai vu un extrait des « Demoiselles » dans l’émission « Blow Up » sur Arte, réalisée par Luc Lagier. Il est passionné par Catherine Deneuve, et à chaque fois qu’il fait une rubrique, il insère un extrait de ses films. Mais là, il a dédié toute une émission à elle. Il parle des « Parapluies de Cherbourg » et des « Demoiselles » et dit quelque chose qui m’a marqué : il compare le film à un cahier de coloriage où tout aurait été réussi. Et c’est exactement ça, il réussit à créer une ville qui ne ressemble à rien d’autre, une ville irréelle, mais pleine de vie, de musique, de danse. C’est comme un réconfort visuel et émotionnel, je ne me lasse pas de le revoir. »

 

Patrick Modiano

« Je me suis récemment beaucoup attaché à l’œuvre de Patrick Modiano. Curieusement, ce n’était pas le cas avant. J’étais un peu distant, mais là, c’est vraiment devenu un coup de cœur. Il y a peu, j'ai lu « Chevreuse » (2021) et un autre livre, « La Danseuse » (2023), dans la même veine. Ce sont des livres très courts, des petits bijoux, vraiment. Le style de Modiano... c'est une langue ciselée, c’est absolument magnifique. Cette précision, ce raffinement dans l'écriture me touche beaucoup. Tout est nimbé de mystère, de mélancolie. Il y a ce côté hors du temps, c’est comme une brume, entre désir et amour, des liens jamais totalement établis, des histoires inachevées. C'est une écriture d'une simplicité et d'une beauté incroyables. C’est ce que j’avais envie de lire, un français pur, ciselé. »

 

Ingrid Caven

« La chanteuse et actrice allemande a donné un concert unique, en février dernier, au Théâtre des Bouffes du Nord, à l’occasion de la sortie de son nouvel album. J'avais déjà dû la voir trois fois en concert. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup et ce concert était un moment très émouvant. J’ai découvert Ingrid Caven au moment où le livre de Jean-Jacques Schuhl, son compagnon, est paru. Il avait écrit un roman sur elle, « Ingrid Caven », qui avait beaucoup fait parler. À la même époque, je travaillais chez Saint Laurent, comme assistant studio de la maison de couture, aux côtés d’Yves Saint Laurent. Un jour, j’ai compris que c’était lui qui avait fait sa robe. Il y a toute une histoire autour de cette robe en satin noir qui a été très importante dans sa carrière. Saint Laurent a été fou d’elle aussi. Je l'ai énormément écoutée, elle chante à peu près dans toutes les langues. Et ce concert-là, c’était complètement nouveau, assez expérimental. Elle s’est affranchie de beaucoup de choses. C’était fascinant en termes de liberté. Moi, j’aime beaucoup ce genre d’artistes. Je suis assez fou de Brigitte Fontaine aussi, par exemple. Pour moi, c’est un peu son équivalent allemand. Dans l’audace, dans ses collaborations avec des musiciens très contemporains. Ce sont des personnalités incroyablement libres et intègres artistiquement. J’ai été beaucoup nourri d’esthétique allemande, de Marlène Dietrich, de Fassbinder. Et ce qui marque chez eux, c’est cette liberté, cette intégrité créative. Ingrid Caven n’est pas du tout dans la séduction du public. Ce qui était incroyable dans ce spectacle, c’était la manière dont elle s’est présentée. Très « dietrichienne ». Tout était millimétré, léger, sa façon de bouger, de chanter. Mais en même temps, elle semblait vouloir déconstruire tout ça, quitte à faire exprès de chanter faux parfois. Il y a eu ce moment bouleversant où elle a raconté sa première apparition publique : à l’âge de six ans, en pleine guerre, elle a chanté pour les SS. On l’a mise sur un tabouret, en blanc, dans la neige. Un moment fondateur chez elle. Et ça fait partie de toute cette Allemagne intellectuelle qui s’est révoltée contre son passé. Tout ça avec un minimum de dispositifs. Mais un travail de lumière incroyable. Et elle, elle sait se placer, bouger, chronométrer ses effets. Un minimum de moyens, pour un maximum d’effets. Et le lieu s’y prêtait parfaitement. »

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