L’Iconique chaise longue LC4 de Charlotte Perriand, mythe de l’histoire du design moderne
Symbole de l’élégance moderniste, la chaise longue LC4, imaginée par Charlotte Perriand en collaboration avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret, incarne une révolution esthétique et fonctionnelle. Véritable « machine à se reposer », elle a redéfini les normes du confort et du design industriel, tout en s'inscrivant durablement dans l'histoire du mobilier contemporain. Voici son histoire.
C’est un objet de design devenu culte, reconnaissable entre mille avec son cuir très chic et sa structure en acier épurée. Un véritable manifeste du mobilier du XXème siècle, pour lequel sa créatrice a rompu avec les codes de son époque, la fin des années 1920. Un meuble résolument fonctionnel et esthétique, une création aboutie symbole d’innovation et de confort, qui continue de surprendre et d’inspirer. Détendez-vous, la French Touch vous raconte l’histoire de la chaise longue LC4 de Charlotte Perriand.
Les années 1920, une époque de mutations propice à l’émergence de nouveaux talents créatifs
La carrière de designer de Charlotte Perriand se lance véritablement à la fin des « Années Folles », les années 1920. Après le traumatisme de la Première Guerre mondiale, cette période de renouveau économique et de révolution sociale se traduit par un réveil créatif, la Grande Guerre ayant stoppé le développement des arts et métiers dans une large partie de l’Europe. En Russie, aux Pays-Bas, en Allemagne, en France, les Arts Décoratifs se déploient. Cela s’accompagne d’une profonde remise en question des conventions artistiques et de design : la voie s’ouvre vers des créations audacieuses qui rompent avec les styles d’autrefois.
Sur le plan du design, l’Art déco, caractérisé par ses formes épurées, ses lignes symétriques et l’utilisation de matériaux luxueux, était le style dominant à l’époque. Ce mouvement influence l’architecture, le mobilier, la mode et les arts décoratifs, et est représenté par des figures de proues tels le décorateur Emile-Jacques Ruhlmann, l’artiste et maître verrier René Lalique, ou encore la peintre Tamara de Lempicka. En parallèle le Bauhaus, école d’art, d’architecture et de design fondée en 1919 par Walter Gropius, propose plutôt une approche fonctionnelle et minimaliste du design, en mettant l’accent sur l’ergonomie et l’utilité quotidienne, et privilégiant les matériaux industriels comme l’acier et le verre. Des personnalités influentes comme le peintre et théoricien Paul Klee ou le pionnier de l’art abstrait Wassily Kandinsky sont issues du Bauhaus. Charotte Perriand, formée à l’Ecole de l’union centrale des arts décoratifs (EUCAD) dont elle est diplômée en 1925, rompt avec le style Art déco et s’oriente plutôt vers les principes de cette école, elle s’inspire aussi de l’esthétique épurée de l’art japonais d’habiter.
Cette approche la distingue lors du Salon d’Automne de 1927, une exposition célébrant les beaux-arts sous toutes leurs formes et reconnue comme un lieu d’avant-garde pour les architectes et les designers. Elle y présente une installation intitulée Bar sous le toit. Une reproduction moderne et audacieuse de son appartement situé Place Saint-Sulpice à Paris, impliquant du mobilier fabriqué en acier brillant, un bar incurvé, des fauteuils en acier et cuir violet qui font sensation. Ce projet novateur, loin des codes de l’époque, attire l’œil des critiques et du grand architecte du moment, Le Corbusier, et de son cousin et collaborateur, Pierre Jeanneret. Charlotte Perriand est capable de concevoir mais aussi de faire réaliser du mobilier, et souhaite s’initier à l’architecture. Elle intègre leur agence comme associée, ce qui marque le début d’une décennie fructueuse pour les trois artistes.
Bar sous le toit
La chaise longue LC4, un meuble novateur
Parmi les projets qu’on lui confie, la jeune designer est chargée d’équiper la Villa Church, une résidence privée d’architecture moderne située à Ville-d’Avray conçue entre 1927 et 1929. Le « vieux Corbu » donne à Charlotte Perriand deux modèles de référence. Le premier, le fauteuil médical du Dr Pascaud, aussi connu sous le nom de fauteuil Surrepos, est un modèle lui aussi conçu dans les années 1920 qui se démarque par son mécanisme ajustable innovant, permettant de régler l’inclinaison du dossier et de l’assise.
Fauteuil Surrepos du Dr Pascaud
Le second, le rocking chair de Thonet, conçu au XIXème siècle par l’ébéniste et industriel Michael Thonet, est cet emblématique fauteuil à bascule en bois courbé, qui allie légèreté et solidité.
Rocking chair by Austrian designer Michael Thonet (manufactured by Gebruder Thonet), 1890. Gift of John P. Antonelli. (Photo by Indianapolis Museum of Art/Getty Images)
Ces deux inspirations, mêlées à une recherche ergonomique poussée et l’utilisation de techniques innovantes pour l’époque, vont amener Charlotte Perriand à la création de l’iconique chaise longue LC4, en 1928.
Chaise longue LC4
Sur le plan des matériaux et des procédés, Charlotte Perriand s’inspire du monde industriel et notamment de l’aéronautique. La chaise LC4 est en effet structurée autour de tubes d’acier, résistants et légers, cintrés (courbés), selon un processus de déformation permanente des tubes, puis chromés pour lui donner cet aspect moderne et épuré. La designer, qui accorde une grande importance à l’ergonomie, imagine une assise enveloppante et souple, adaptable à toutes les positions du corps et ajustable sans mécanisme complexe, par glissement continu. Le confort est assuré par un matelas en peau ou en cuir, un matériau nouveau pour l’époque, tandis que la nuque peut se reposer sur un petit traversin en mousse, lui aussi recouvert de cuir. La chaise LC4 est si agréable que l’époque la nommera « la machine à repos ».
La chaise longue LC4, un succès progressif jusqu’à une assise incontestée
A sa sortie en 1928, puis lors du Salon d’Automne de 1929, la création de Charlotte Perriand est saluée par quelques avant-gardistes, mais ne convainc pas un public encore trop attaché au style classique. Son design avant-gardiste et son caractère innovant sont jugés trop radicaux, et la chaise LC4 peine à trouver sa place dans les intérieurs bourgeois. Mais également, les procédés industriels nécessaires à sa fabrication exigeaient un savoir-faire et des moyens de production spécifiques et coûteux, encore réservés à des ateliers spécialisés : Charlotte Perriand, Le Corbusier et Pierre Jeanneret proposent du mobilier innovant mais n’ont pas l’expérience de la production en série. Un facteur technique qui a pu freiner la reproduction de la LC4, longtemps réservée à un marché de niche et à une élite design. Le modèle, bien qu’édité à l’époque par l’éditeur prestigieux Thonet, se vend à peu d’exemplaires et ne fait pas d’émules. Un naufrage commercial qui amènera même Le Corbusier à la faire rééditer, en 1959, à son seul nom et à son seul profit, sûrement la raison pour laquelle on associe trop souvent cette chaise au grand architecte alors que c’est bien Charlotte Perriand qui en est la créatrice.
Avec le temps, par le biais de salons et d’expositions dédiés au design moderniste, la LC4 commence à capter l’attention de plus en plus de professionnels du design et d’amateurs de mobilier, et à persuader le public. Sa construction ingénieuse, son confort et son ergonomie, son esthétique fonctionnelle et épurée, nouent avec la reconnaissance, jusqu’à devenir la référence. Après Thonet, c’est l’entreprise italienne de fabrication de meubles Cassina qui édite la chaise à partir des années 1960. Avec le changement des mentalités et une adoption progressive des procédés industriels dans l’ameublement, la chaise longue LC4 connaît le succès commercial, et s’impose petit à petit comme un véritable classique, un symbole du XXème siècle recherché aussi bien par les collectionneurs que par les amateurs de mobilier.
Aujourd’hui, la chaise longue LC4 est bien plus qu’un simple siège : elle est fréquemment choisie par les décorateurs de plateaux pour mettre en scène des intérieurs modernistes et symboliser le luxe discret et l’innovation. Elle apparaît tout aussi habituellement dans la photographie et les installations artistiques. En 2019-2020, la Fondation Louis Vuitton à Paris consacrait une exposition d’envergure à Charlotte Perriand pour le 20ème anniversaire de sa disparition, « Le monde nouveau de Charlotte Perriand », où la LC4 a été présentée parmi d’autres pièces majeures du mobilier moderniste. L’emblématique chaise longue est régulièrement exposée dans des musées renommés comme le MoMA à New York, le Centre Pompidou où le Musée des Arts Décoratifs à Paris, figure souvent dans des expositions consacrées au design du XXème siècle, et fait l’objet de nombreuses publications dans les magazines de design et d’art contemporain.
Enfin, la chaise longue LC4 continue d’influencer les plus grands designers, français comme internationaux. Le français Philippe Starck a souvent fait écho à l’esprit minimaliste et ergonomique de la LC4 pour créer des objets à mi-chemin entre fonctionnalité et esthétique industrielle. Le britannique Jasper Morrison, qui met l’accent sur l’utilité et la sobriété, puise dans la même philosophie que Charlotte Perriand. L’espagnole Patricia Urquiol, bien qu’explorant un univers plus riche en textures et en couleurs, s’inspire de l’équilibre entre fonctionnalité et esthétisme tout en intégrant de nouvelles techniques de fabrication. Un héritage comme pour asseoir un peu plus la chaise longue LC4, et son statut de création iconique.
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