Crise écologique : quand la culture sonne l’alerte
Alors que la crise écologique menace la biodiversité, les institutions culturelles deviennent les nouveaux porte-paroles de la lutte pour la sauvegarde des autres formes de vie sur terre. Dans les musées, galeries et festivals, plus un mois ne se passe sans qu’une nouvelle exposition célèbre le vivant. Une convergence qui révèle l’intérêt grandissant des artistes pour la question écologique. Vagues de chaleur, mégafeux et orages violents… 2022 aura été l’année de la prise de conscience de l’urgence climatique. En France,…
Alors que la crise écologique menace la biodiversité, les institutions culturelles deviennent les nouveaux porte-paroles de la lutte pour la sauvegarde des autres formes de vie sur terre. Dans les musées, galeries et festivals, plus un mois ne se passe sans qu’une nouvelle exposition célèbre le vivant. Une convergence qui révèle l’intérêt grandissant des artistes pour la question écologique.
Vagues de chaleur, mégafeux et orages violents… 2022 aura été l’année de la prise de conscience de l’urgence climatique. En France, toutes ces catastrophes ont marqué les esprits et éveillé les consciences. Pour l’amateur d’art contemporain attentif, l’inquiétude ne date pas d’hier. Cartes blanches, rétrospectives, expositions collectives, festivals, conférences, pièces de théâtre… Depuis 2019, difficile de faire l’impasse sur la question écologique : de mois en mois la liste d’évènements traitant de ces sujets s’allonge. Du Centre George Pompidou à la Fondation Cartier, de la Biennale de Berlin à la Philharmonie de Paris, la crise écologique s’invite partout dans les programmations des institutions culturelles. Et si l’impact du réchauffement climatique est souvent la principale motivation des artistes exposés à s’emparer du thème, leur expression soulève une floraison d’interrogations, aussi pressantes que passionnantes.
Reconsidérer le règne du végétal
Dès 2019, avec « Nous les arbres », exposition en hommage aux peuples forestiers, la Fondation Cartier croise les réflexions d’artistes et de chercheurs, notamment pour battre en brèche l’idée selon laquelle l’arbre est une chose inerte. Cette « révolution végétale » démontre qu’il s’agit d’un être sensible, capable de mémoire et de communication. Une vision qui a trouvé écho au Palais des beaux-arts de Lille (« La Forêt magique »), à la Cité internationale universitaire de Paris (« Le nom du monde est forêt ») ou encore au Centquatre, qui avec l’exposition « Graines » racontait, à travers les œuvres de quatre photographes et plasticiens, l’histoire de ces « grandes voyageuses ».
Un prétexte pour questionner notre aptitude à imaginer demain. Ignoré jusque-là, relégué au rang de décor de campagne, voilà le règne végétal enfin reconsidéré. La tendance s’est enracinée et continue à produire ses fruits avec, par exemple, la grande monographie jusqu’au 30 avril 2023, à la Fondation Cartier, à Paris, consacrée à la peinture de Fabrice Hyber, ce semeur d’arbres et d’idées. Récemment le musée de Grenoble recevait Giuseppe Penone aux côtés de trois autres plasticiens de renommée internationale pour qui la question du rapport de l’humain à la nature est essentielle. Représentant de « l’Arte Povera », le sculpteur éclaire dans son œuvre sur les liens intimes de la nature.
L’an dernier, sur un mode alarmiste, « Réclamer la Terre » au Palais de Tokyo mettait douze artistes au défi de repenser la place de l’humain. Dans le même registre, la très sonore exposition Musicanimale, à la Philharmonie de Paris, qui se termine tout juste, dénonçait, à grand renfort de sons les plus vivants, les conséquences du réchauffement climatique sur un patrimoine sonore en danger. En direct de nos prairies, de nos océans et de nos forêts, l’exposition fait entendre les sons d’une quarantaine d’espèces. Depuis la crise du Covid-19 et les confinements successifs, l’intérêt du grand public pour ces questions ne cesse de se ramifier. L’ensemble de ces évènements y contribue, et ouvre même sur de nouvelles perspectives.
L’avenir du vivant questionné par le monde de la culture
En 2021, Vinciane Despret était « l’invitée intellectuelle » du Centre Pompidou. La philosophe des sciences et psychologue belge, grande connaisseuse du monde des oiseaux, est l’une des voix du « nouveau naturalisme ». Sa carte blanche intitulée « Avec qui venez-vous ? » proposait justement de s’initier à cette pensée à travers une série de conférences, de spectacles et d’expos. Dans la continuité d’anthropologues comme Philippe Descola et Bruno Latour, ces penseurs contemporains remettent en cause la place de l’homme occidental en haut de la pyramide du vivant. C’est en devenant le gestionnaire en chef de la nature que l’humain a fait basculer la planète au bord du gouffre, nous disent-ils. Et Vinciane Despret d’appeler, avec d’autres, à un éveil du sensible.
Pour saisir les fragiles messages que nous envoient la nature, les artistes proposent des œuvres et des performances toujours plus innovantes. On a ainsi pu assister à un étonnant concert entre trois moustiques musiciens et un chant traditionnel d’Inde, découvrir grâce au compositeur de musique électroacoustique Bernard Fort que notre ouïe ne perçoit qu’une faible partie des chants d’oiseaux. On a enfin pu comprendre, grâce à une ingénieuse installation de Gérard Hauray, qu’un cortège de minuscules graines de plantes voyagent sous nos semelles… En provoquant des décalages avec nos perceptions d’humains autocentrés, nous voilà invités à porter une autre attention au monde qui nous entoure. Et si l’on revoyait nos relations aux autres êtres vivants ?
Pour Gilles Rion, responsable des expositions d’art au Domaine départemental de Chamarande dans l’Essonne, qui a consacré l’an dernier un cycle entier au rapport homme/animal, c’est même tout l’intérêt de cette création artistique. « Cette manière dont certains artistes contemporains renouent avec les formes animales sans l’envisager comme un miroir de l’homme. L’animal devient un sujet avec qui l’on peut dialoguer d’égal à égal. Si on se permet d’envisager la relation homme-animal sous cet angle, on renoue avec des théories anthropologiques comme celles élaborées par le brésilien Eduardo Viveiros de Castro qui s’est intéressé particulièrement à l’animisme. Que se passe-t-il dans le champ artistique lorsqu’on s’abandonne à cette vision ? Et quelles sont les images et les représentations que nous livrent les artistes d’une société envisagée sous cet angle ? Il y a quelque chose de fort dans cette voie ». Et de le démontrer dans une série d’évènements qui ont pris place depuis mars 2022, et jusqu’au 12 février 2023, dans les espaces du Domaine sous le titre « Je suis un animal ». Le duo d’Art orienté objet, pionnier depuis une trentaine d’années sur ce sujet, s’attache à faire disparaître la barrière de l’altérité avec cet être vivant que notre culture ne cesse de construire. Jusqu’à se soumettre, en 2011, à une transfusion sanguine d’homme à cheval :« Que le cheval vive en moi ». La vidéo de la performance, fait date dans l’histoire de l’art contemporain. Edi Dubien signe lui une installation tout en délicatesse mettant en scène des dessins de visages d’enfants accompagnés d’animaux exprimant ce monde pluriel et riche d’alliances possibles. Quand l’animal devient l’ami, le confident, le compagnon, le partenaire, le double, l’ombre… Pas si bête.
« La Vallée » de Fabrice Hyber, jusqu’au 30 avril 2023, fondationcartier.com
« Zoosphères » de Art orienté objet, jusqu’au 12 février 2023, chamarande.essonne.fr
© Fondation Cartier
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