De la Croisette au canapé, de la Palme à la télécommande : Comment se consomme et se récompense le cinéma aujourd’hui ?
Berlin, Venise, Cannes… Ces grands festivals internationaux représentent des rendez-vous immanquables pour l’industrie du cinéma. Ils sont également les témoins de sa transformation, alors que les plateformes de streaming viennent bousculer les codes d’un secteur longtemps resté conservateur.
Ce 16 mai, le monde du cinéma va retenir son souffle et vivre au rythme de la 76e édition du Festival de Cannes et de ses sections parallèles (La Quinzaine des cinéastes, La Semaine de la critique). Bien qu’il ne soit pas le seul événement prestigieux de l’année pour le secteur, ce rendez-vous international est tout simplement considéré comme « le must » au sein de l’industrie, explique François Yon, PDG et cofondateur du groupe Playtime, distributeur et producteur international. Cette année encore, l’un de ses films, Les herbes sèches, de Nuri Bilge Ceylan, est en compétition. « On veut tous la Palme d’Or », plaisante-t-il… à moitié. Plus qu’une consécration pour l’équipe derrière le film vainqueur, le Graal des prix du 7e art est également synonyme de véritable coup projecteur sur l'œuvre, pour les futurs spectateurs comme pour les distributeurs.
La Palme est-elle synonyme de succès en salles ?
« C’est un argument de vente très fort auprès des distributeurs qui n’auraient pas été convaincus par le script ou le “promo reel”, confirme François Yon. Une récompense décuple l’attention portée à un long-métrage. » Exemple type : Parasite, de Bong Joon-ho, primé à l'unanimité par le jury en 2019 à Cannes, sorti dans 179 salles en France et dont le succès a été immédiat et continu, cumulant 376 842 entrées en une semaine et 1 914 377 au total. Plus récemment, le film Sans Filtre de Ruben Östlund, Palme d’Or 2022, a également bénéficié de ce tremplin. « Il n’a pas forcément bien marché en France mais il a surperformé dans le reste de l’Europe, notamment en Allemagne, en Espagne et dans les pays scandinaves. »
La Palme n’est certes pas étrangère à cette situation, mais une autre donnée importante entre en jeu dans l’accueil que réserve le public à ces films une fois sur grand écran. « Les deux étaient finalement très commerciaux et grand public, explique le PDG de Playtime. Si l’on prend Titane de Julia Ducournau, la Palme a certes attiré les regards des médias mais moins les spectateurs car c’est un film de genre, qui n’est pas aussi fédérateur. » Malgré la visibilité, le long-métrage n’a effectivement enregistré que 303 610 entrées après 18 semaines.
Les plateformes de streaming, nouveaux acteurs d’une industrie en plein bouleversement
Les récompenses des grands festivals européens ne sont donc pas toujours des catalyseurs suffisants pour créer des phénomènes, bien que leur rôle pèse dans le destin que connaîtront les œuvres à leur sortie. « Et à l'inverse, les films qui ne bénéficient pas de cette exposition, eux, en pâtissent indéniablement », ajoute François Yon.
L’industrie cinématographique et ses grands rendez-vous connaissent par ailleurs une mutation profonde. Fortement affecté par le COVID, tant au niveau de la production que du box-office, le secteur doit également composer aujourd’hui avec la montée en puissance des plateformes de streaming. Ces dernières ont radicalement changé les modes de consommation, mais aussi les codes de l’audiovisuel, par les nouveaux formats de narration que leurs productions originales proposent. Si le Festival de Cannes refuse désormais de présenter, en compétition ou non, des films produits par ces plateformes, la Mostra de Venise s’y est largement ouverte. En 2022, elle accueillait pas moins de quatre films en compétition après avoir récompensé du Lion d’or Roma d’Alfonso Cuaron en 2018 ou encore du Grand prix du jury Paolo Sorrentino pour La Main de Dieu en 2021, deux longs métrages Netflix.
Concurrence fâcheuse ou, au contraire, aubaine pour un secteur voué à évoluer ? Selon François Yon, la cohabitation qui s’impose peu à peu est certes un bouleversement, mais elle est saine, voire avantageuse pour le cinéma dit « traditionnel » : « Le succès des plateformes et leurs productions ont apporté beaucoup d’argent au système, au bénéfice de la création. » Évoquant la « porosité » de ces nouveaux arrivants, il explique que les films à gros budgets de Netflix & Co font notamment intervenir des techniciens, confortablement payés, qui pourront se permettre ensuite de travailler sur des œuvres plus pointues. Et force est de constater que malgré leur lot de films très formatés, les plateformes de streaming sont également capables de présenter des films n’ayant rien à envier aux productions destinées aux salles obscures. Assez pour imaginer que, dans un futur proche, le nombre de vues générées rejoigne le nombre d'entrées comme outil de mesure officiel pour le 7e art ?