De l’art au design : le sport toujours gagnant
À quelques semaines de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, La French Touch a sélectionné, parmi les nombreux évènements de l’Olympiade Culturelle, deux belles expositions sur le thème du sport. Au Musée Marmottan Monet, « En jeu ! Les artistes et le sport (1870-1930) » raconte l’évolution du sport moderne à travers le regard des plus grands peintres. Au Musée du Luxembourg, « Match. Design & sport - Une histoire tournée vers le futur » explore les prouesses du design au profit d’un monde pas uniquement habité par le culte de la performance.
2112. C’est le nombre d’initiatives labellisées Olympiade culturelle, sur plus de 530 sites répartis sur le territoire français. Théâtre, danse, musique, cirque, design, mode... Un copieux programme pour « faire dialoguer sport et culture ». Telle est la mission demandée par le Comité International Olympique au pays hôte des Jeux… au risque parfois d’un foisonnement excessif peu lisible pour le public... Dans cette offre abondante, la French Touch a retenu deux expositions pour la qualité de leur contenu, mais aussi parce qu’elles montrent que le sport, associé aux beaux-arts et au design, est un précieux marqueur sur bien des aspects de l’évolution de nos sociétés. Social, politique, féminisme, inclusivité, progrès technologique... Pour un point de vue décalé sur les épreuves, au-delà de la soif de victoire, deux expos, enrichissantes et complémentaires, à voir avant les Jeux.
« En jeu ! Les artistes et le sport (1870-1930) »
Parmi les 180 peintures, sculptures, gravures, photographies rassemblées sur deux étages de l’hôtel particulier, de l’époque impressionniste aux avant-gardes du premier quart du XXème siècle, cinq toiles illustrent particulièrement l’évolution de ce regard sur les sports modernes. Visite en compagnie de la commissaire associée Aurélie Gavoille, attachée de conservation au musée Marmottan Monet.
1/ Deux mondes parallèles : par Edgar Degas
En Angleterre, l’organisation sportive est déjà rôdée avec des lieux dédiés à la pratique, les clubs privés, les salles de boxes... La France n’y est pas encore. Les hippodromes commencent à apparaître. Mais Degas, observateur attentif du monde des courses, pointe aussi dans ce tableau la modernité des paysages et cette société en transformation. D’une grande richesse, ce tableau de 1882 emprunté au Musée d’Orsay, « Course de gentlemen. Avant le départ », montre d’un côté le monde ouvrier laborieux, représenté par les usines à l’arrière-plan, et, de l’autre, la bonne bourgeoisie qui se réunit pour le plaisir. L’œil ne peut qu’être saisi par le contraste entre ces deux mondes et même le cadrage photographique. Observez le jockey et son cheval coupés au premier plan. Nous avons l’impression d’assister à la scène. Cet entre soi est intéressant : l’arrivée de ces sports provenant d’Angleterre se fait par les classes aristocratiques ou bourgeoises. Il faudra attendre la fin du siècle pour assister au début de sa démocratisation.
2/ Le sportif, ce héros : par Thomas Eakins
Autre artiste et autre sport majeur : le nautisme avec, ici, l’aviron. Cet œuvre, issue des collections de la National Gallery, à Washington, représente de véritables sportifs : les frères Biglin, icones de leurs temps aux États-Unis. Dans ce tableau de 1872, l’artiste américain Thomas Eakins les montre en pleine course, sur une rivière près de Philadelphie, au maximum de leur tension musculaire. L’équipée va devancer ses concurrents dont on voit l’embarcation au premier plan. La foule se distingue à l’arrière-plan. Contrairement à Degas, l’artiste était investi lui-même dans l’aviron et le pratique. Il en comprend donc les mouvements, il retranscrire les ondulations de l’eau, encore une fois cette tension musculaire... C’est cette réalité qu’il cherche à reproduire et clairement aussi la volonté de mettre en valeur le sport et les sportifs.
3/ Sport et art, même combat : par Jean Metzinger
La course moderne Paris-Roubaix de 1912 se déroule sous nos yeux dans ce tableau, « Au Vélodrome ». Une œuvre intrigante de Jean Metzinger, empruntée à la Collection Peggy Guggenheim à Venise. En découpage, avec ces lignes noires, apparait le héros roubaisien Charles Crupelandt, deux fois vainqueur de la course. C’est l’homme faisant corps avec sa machine. Le peintre use d’un mélange de techniques : l’effet granuleux donnant du relief à la composition, l’effet cubiste aussi. La mythologie du cyclisme, l’un des sports les plus populaires du début 20ème siècle, s’exprime par cette pratique artistique et esthétique. À la représentation de l’icône est associée la représentation de la virtuosité de l’artiste et de ce cubisme pleinement existant à l’époque. Les enjeux sont communs : sportifs et artistes partagent les mêmes quêtes de performance, de recherche de reconnaissance. Ici on voit véritablement cette représentation de l’homme-machine lancé dans une quête de performance.
4/ L’audace féminine : par Gustave Courbet
Réalisé en en 1865, « La Femme au podoscaphe » montre l’audace d’une jeune femme expérimentant un sport moderne dans une société réfractaire à la pratique sportive féminine. Une œuvre ambitieuse, d’abord par son grand format rappelant la peinture d’histoire académique du XIXème siècle. La jeune femme chevauche un podoscaphe qu’on peut désigner comme l’équivalent du paddle d’aujourd’hui. Une scène singulière. Ses habits de bain lui offrent une liberté de mouvement, avec des épaules, un cou et une partie de ses jambes visibles. Une tenue qui aurait pu faire scandale à l’époque. Cette toile n’est pas achevée non plus. On a l’impression d’un collage, que Courbet a travaillé sur les motifs des vagues et leur élan avant de poser sur l’eau ce podoscaphe et ce jeune modèle dont on comprend tout de suite l’esprit d’indépendance et de liberté, cheveux aux vents, avec cette grande confiance en elle pour voguer sur cette mer agitée. Gustave Courbet avait donné à ce tableau le nom de « Podoscaphe ou Amphitrite moderne » (femme de Poséidon, le dieu de la mer). La représentation de la modernité au travers une figure antique.
5/ Le sport et l’universalité : par George Bellows
L’Américain George Bellows est l’artiste le plus connu pour ses représentations de combats de boxe. Dans « Club Night » de 1907, il figure un ring aménagé sans corde de protection, aux Etats-Unis. La boxe se démocratise lentement, est encore, à cette époque, au même titre que le hippisme et l’escrime, le sport de l’entre-soi. L’artiste qui n’a jamais fréquenté une salle de sport s’attache pourtant à peindre une grande réalité, avec ce clair-obscur, ce boxeur au nez presque ensanglanté, l’entraineur appuyé sur le ring. Bellows restitue la ferveur, la force du moment que l’on a l’impression de vivre secrètement. Les spectateurs ont une place prépondérante : au premier plan, les hommes en costume semblent porter des masques. Ils font même peur, avec des expressions exacerbées dignes du sport de la boxe, au deuxième plan se positionnent les classes plus populaires. Pendant le match cette frontière semble se brouiller pour disparaître... Le public s’unit au nom de l’universalité du sport.
Musée Marmottan Monet
Jusqu’au 1er septembre
marmottan.fr
« Match. Design & sport - Une histoire tournée vers le futur»
Cette exposition de 150 objets, des premiers équipements sportifs aux écrans de l’e-sport, montre à quel point le sport et le design font cause commune dans la quête de performance. Cette réjouissante exposition au Musée du Luxembourg, à Paris, emmène aussi le visiteur explorer d’autres valeurs mises en pratique par le design, comme l’inclusivité et le féminisme. Entretien avec le designer industriel allemand Konstantin Grcic, à la fois commissaire et scénographe.
La French Touch (FT) : Parmi les 150 pièces exposées, laquelle définit le mieux votre conception du sport ?
Konstantin Grcic (KG) : Le mur vidéo situé à la fin de l’exposition, composé de neuf écrans, affichant 35 vidéos différentes tirées d'Internet. Ces vidéos présentent des sports sous différentes formes et montrent qu’ils peuvent être pratiqués par des personnes de tous âges et de toutes origines, aux quatre coins du monde. Ce moment de l’exposition est important car il montre que le sport est pour tout le monde, quel que soit l'âge, le sexe, les capacités ou le niveau. Peu importe que vous soyez débutant, amateur ou professionnel, que vous pratiquiez des sports classiques ou de nouveaux sports indépendants, des sports modernes ou anciens. Le sport est pratiqué partout, dans tous les milieux, par tout le monde, à tous les niveaux.
La FT : Alors qu’on s’apprête à vivre cette immense liesse populaire, l’exposition met surtout en scène la montée en puissance de l’IA et des écrans. Voyez-vous dans cette tendance le futur du design sportif ?
KG : L'intelligence artificielle et les technologies numériques sont les plus grands atouts dans le développement du sport. Ce sont les données, et non la prochaine innovation matérielle, qui aideront les athlètes à améliorer leurs performances et à s'entraîner pour les compétitions. Elles aideront les entraîneurs et les équipes à se préparer à ces compétitions. Elles aideront les médias à retransmettre les événements d’une façon bien plus intéressante, pour un public plus large. Elles aideront les supporters et les spectateurs à s'engager et à participer aux événements sportifs. Elles contribueront également à rendre le sport plus inclusif. L’IA contribue déjà à la mise au point d'équipements et de matériels spéciaux, ainsi que d'aides médicales pour les athlètes handicapés. Les données sont l'avenir du sport.
La FT : Vous avez dessiné des équipements pour sport de haut niveau comme le bateau d’Alex Thomson, skipper britannique arrivé second au dernier Vendée Globe et vous avez récemment déclaré être désormais addict à la course au large. Est-ce que parce que la haute mer reste le royaume de l’imprévisible ?
KG : Je suis devenu un grand fan de la course au large. Ce sport m'enthousiasme parce qu'il est extrême. C’est tout. La technologie qui entre en jeu dans la conception et la construction de ces voiliers est extrême. C'est extrême pour les marins, hommes comme femmes, qui s'affrontent sur ces voiliers, en solitaire, contre leurs rivaux et les aléas du temps et de la mer. C'est sans aucun doute un sport magnifique. Il s'agit de voile, donc c’est propulsé par le vent, par la nature. Les marins les plus performants sont ceux qui sont en phase avec la nature et qui comprennent la puissance des éléments. Ils savent comment utiliser le vent et la mer à leur avantage. Il s'agit de trouver le bon équilibre avec son bateau, avec la météo, avec la mer et, d'une certaine manière, avec ses concurrents directs.
La FT : Serez-vous cet été dans les stades ou derrière votre écran pour regarder les Jeux ? Qu’est-ce que votre œil de designer capte en priorité dans ces moments ?
KG : Je ne pourrai assister à aucune des compétitions à Paris. Je n'ai pu obtenir de billets. C'est dommage, car cela s'éloigne du véritable esprit olympique qui devrait être inclusif, ouvert et gratuit pour tous. Les Jeux se sont transformés en gros business, au privilège de quelques-uns. Cependant, je sais que la diffusion et la médiatisation des Jeux de 2024 seront encore meilleures que celles des précédents, car nous disposons de nouvelles technologies qui permettront aux visiteurs et aux fans de se rapprocher de l'action, des athlètes, et même des coulisses des Jeux. Je vais donc suivre les Jeux à la maison, très probablement collé à mon écran d'ordinateur. Je m'attends à ce que cette expérience soit passionnante. De manière générale, j'attends avec impatience toutes les disciplines inhabituelles, celles qui passent souvent inaperçues en dehors du cycle quadriennal. Pour les athlètes et leurs disciplines, les JO représentent le pinacle de leur carrière.
Musée du Luxembourg
Jusqu’au 11 août
museeduluxembourg.fr
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