Faircraft veut révolutionner la maroquinerie avec son cuir de laboratoire
La startup cofondée en 2021 par Haïkel Balti et César Valencia Gallardo propose son cuir in vitro comme une alternative durable au cuir animal traditionnel. Elle prépare désormais son industrialisation.
Haïkel Balti et César Valencia Gallardo, fondateurs de Faircraft ©Julien Hamel
Un matériau robuste, polyvalent et fonctionnel, à l’esthétique intemporelle, dont les produits sont associés à une image de qualité : le cuir est l’une des matières les plus appréciées dans le secteur mode et luxe, également dans l’ameublement ou l’automobile.
Pourtant, l’industrie du cuir est souvent vivement critiquée pour son impact environnemental majeur et les questions éthiques qu’elle soulève. Les procédés de tannage conventionnels (déshydrater une peau et y fixer des agents chimiques pour la rendre imputrescible et apte à la fabrication de divers produits) génèrent en effet une pollution significative, tandis que l’élevage intensif lié à la production de cuir engendre de la souffrance animale et de fortes émissions de gaz à effet de serre. Les consommateurs, de plus en plus sensibles à ces problématiques (en particulier la génération Z qui devrait représenter 40 % des clients des marques de Mode et Luxe d’ici 2035), amènent les marques à se questionner sur leurs pratiques et à se tourner vers des alternatives.
Préférer le cuir végétal ? Certaines marques l’ont adopté, mais ces types de cuirs basés sur l’utilisation de plantes ou de champignons peinent à reproduire pleinement les caractéristiques d’un cuir animal, notamment en termes de durabilité, de toucher et d’esthétique. Alors, pour compenser, ces matières végétales nécessitent des quantités parfois importantes de substances d’origine pétrolière, comme le polyuréthane. Un polluant chimique difficilement recyclable, dont la production contribue aussi significativement aux émissions de gaz nocifs, et dont l’application peut émettre des vapeurs toxiques.
L'ambition de Faircraft : devenir le premier fournisseur mondial de cuir responsable, sans compromis sur la qualité
Une alternative au cuir animal, sans concession sur les caractéristiques de durabilité, d’aspect et de texture ou de résistance à l’usure, est-elle alors possible ? La réponse est oui, et elle a été développée par Faircraft. Cette start-up innovante a été cofondée en 2021 par Haïkel Balti (CEO), ingénieur en science des matériaux et génie mécanique, et César Valencia Gallardo (CTO), docteur en biologie spécialisé en biochimie et biologie cellulaire, à la suite de leur rencontre via Entrepreneur First (un programme parisien permettant de développer des idées de startups et de bénéficier d’un soutien financier et stratégique). « J’avais une bonne culture des matériaux et je connaissais les problématiques d’industrialisation. César avait une expérience très fine sur plusieurs verticales en biologie notamment en biologie de la peau. Nous avons réfléchi à la façon de produire de la peau à grande échelle pour en faire du cuir », détaille Haïkel Balti.
Si les bienfaits éthiques et environnementaux leur paraissent rapidement évidents, leur innovation restait à valider d’un point de vue client. Ne venant pas de ces domaines, Haïkel Balti relate être allé chercher lui-même les dirigeants de marques de mode, de maroquinerie, d’automobile, d’ameublement, ainsi que les comités exécutifs de grandes maisons de luxe. « J’avais des réponses immédiates d’entreprises d’univers très différents. Je me suis rendu compte qu’il y avait un vrai besoin, une vraie envie de trouver une solution aux problématiques environnementales et éthiques. Mais aussi une question de maîtrise de la chaîne d’apprivoisement qui ne dépende pas des tanneries. » Dans le même temps, César Valencia Gallardo commençait à déterminer comment mettre en œuvre leur cuir de synthèse d’un point de vue scientifique. Le duo s’organise, jusqu’à mettre au point en 24 mois leur protocole de fabrication et sortir le premier sac à main au monde fabriqué entièrement à partir de cuir de laboratoire. Un jalon important, preuve des applications concrètes de leur technologie.
Un processus de fabrication non pas pour imiter mais pour produire de la vraie peau
Interrogé à propos des matières alternatives au cuir sur le marché depuis une quinzaine d’années, le CEO objecte que « ce qu’on aime dans un cuir, c’est un certain nombre de caractéristiques qui viennent de sa structure et de sa composition ». C’est pourquoi les fondateurs de la start-up n’ont pas cherché à s’éloigner d’une peau animale, mais bien de reproduire de la peau in vitro, puis de réitérer des procédés habituels de tannage en les rendant plus propres, tout en conservant les savoir-faire qui permettent d’obtenir un cuir de bonne qualité.
Techniquement, tout part d’une biopsie, un prélèvement d’un échantillon de peau sur le corps d’un animal avec une anesthésie locale, d’où sont extraites des cellules. Celles-ci sont démultipliées à l’aide d’un bioréacteur, un appareil utilisé pour cultiver ces cellules dans un environnement contrôlé. Puis elles sont semées sur un support, où elles vont créer des liens de collagène (une protéine indispensable responsable de la résistance, de la souplesse et de la cohésion des tissus), et d’élastine (une protéine elle aussi essentielle qui travaille en tandem avec le collagène pour maintenir l’élasticité et la fermeté des tissus, leur permettant de reprendre forme après avoir été étirés ou comprimés). Au bout de plusieurs semaines, il est possible d’appliquer un tannage à cette structure pour obtenir un cuir in vitro, qui sera ensuite travaillé par des designers, ou dans un atelier de fabrication « comme n’importe quel autre cuir ».
Au-delà des valeurs environnementales et éthiques, le cuir de laboratoire serait-il aussi un argument de vente pour de nombreux autres acteurs ? L’approche scientifique novatrice semble en tous cas ouvrir de nombreuses opportunités, et être indéniablement un élément différenciant pour certaines zones géographiques. « Certaines études de marché montrent par exemple, que l’approche innovante est très appréciée en Asie », confie Haïkel Balti.
Une levée de fonds de 15 millions d’euros pour accélérer son développement
Depuis 2021, Faircraft s’applique à développer les technologies nécessaires au développement de la peau in vitro à destination de la maroquinerie, et a mis sur pied avec succès un premier procédé de fabrication. A l’heure actuelle, l’entreprise a la capacité de produire quelques mètres carrés de matière chaque mois, ce qui est suffisant pour des collections capsules. L’ambition de Faircraft avec cette levée de fonds de 15 millions d’euros : continuer de développer les matières pour les adapter à des utilisations dans des domaines spécifiques, mais surtout accélérer l’industrialisation de son entreprise afin de produire des volumes plus importants. Une première usine devrait ouvrir d’ici trois ans.
Au capital de Faircraft, on retrouve plusieurs investisseurs étrangers et français, notamment le fonds French Touch Capital de Bpifrance. A ce sujet, l’entrepreneur déclare : « Cet actionnariat est important pour nous car nous sommes une entreprise internationale (20 personnes, ingénieurs et scientifiques de 8 nationalités différentes, travaillent actuellement chez Faircraft), mais aussi très française. Notre premier marché est l'hexagone, on s’appuie sur des savoir-faire qui sont très présents en France, que nous voulons aussi valoriser et faire vivre. Avoir Bpifrance à notre capital nous permet de nous ancrer sur un grand nombre de sujets en lien avec notre marché et notre supply chain, tout en conservant notre ambition internationale. »
L’entrepreneur conclut en exposant son point de vue sur le marché de la mode éthique. Pour lui, la mode continue d’être associée à la créativité et à l’expression de sa personnalité. Pour atténuer les impacts d’un point de vue environnemental et éthique, il souhaite que les marques insistent sur les éléments de circularité et de pérennité, sans que le consommateur ne soit puni. « C’est dans cela que Faircraft s’inscrit : créer des matières premières beaucoup plus efficaces, pour que le client final puisse continuer de se faire plaisir de façon beaucoup moins impactante. »
Articles similaires
- All
- Arts visuels & Art de vivre
- Cinéma & Audiovisuel
- Édition
- Jeux vidéo
- Mode & Création
- Musique & Spectacle vivant