Fragonard : une affaire de famille depuis bientôt 100 ans
Créées à Grasse en 1926 par Eugène Fuchs, les parfumeries Fragonard sont aujourd’hui encore dirigées par ses arrière-petites-filles : Anne, Agnès et Françoise Costa. Depuis leur arrivée dans l’entreprise au cours des années 80, les trois sœurs ont accéléré le développement de la Maison tout en préservant son positionnement sur le marché du luxe abordable.
Billet Doux, Moment Volé, Eau de Hongrie, Belle de Nuit, Soleil... au début du XXe siècle, il n’est pas rare de croiser, sur les bords de la Riviera, des élégantes laissant flotter derrière leur sillage l’un des parfums emblématiques de la Maison Fragonard. Et si l’histoire de la célèbre parfumerie débute près des champs de lavande à Grasse, elle se poursuit aujourd’hui dans toute la France – où la marque est présente dans 10 villes – mais également en Europe, puisqu’une boutique Fragonard a ouvert ses portes en 2015 à Milan.
Son fondateur, Eugène Fuchs, est pourtant loin d’être issu d’une longue lignée de parfumeurs. Au début des années 1920, sa vie est alors davantage faite de code civil, de placements financiers et de statuts juridiques que d’enfleurage, de distillation et de quêtes d’accords parfaits entre différentes fragrances. Mais son désir d’entreprendre et de s’initier à la magie de la parfumerie à bientôt raison de sa carrière de notaire qu’il abandonne pour partir à Grasse. En 1926, il y fait l’acquisition de deux parfumeries : Cresp-Martinenq et Muraour, qu’il renomme Fragonard. Un hommage au peintre dont il acquiert le tableau Le Sacrifice à la rose.
Dans l’entre-deux-guerres, la “French Riviera” est en pleine ébullition. Artistes, couturiers, mondaines et musiciens se pressent pour goûter à l’art de vivre du sud de la France et ses nombreux touristes ne manquent jamais de faire un passage par Grasse, capitale mondiale du parfum depuis le XVIIe siècle, pour s’approvisionner. C’est ainsi qu’Eugène Fuchs imagine un concept novateur dans lequel ses clients fidèles pourraient visiter les ateliers de fabrication de l’usine. Cette formule remporte d’emblée un très grand succès.
La création d’une dynastie
Trois ans après la création de l’entreprise, Georges Fuchs et François Costa, respectivement fils et gendre d’Eugène Fuchs, reprennent l’entreprise afin de la développer à l’international. En 1939, alors que l’Europe est sur le point d’entrer en guerre, les deux hommes s’associent à la femme d’affaire américaine Elisabeth Arden (à la tête de l’entreprise de cosmétiques éponyme) et ouvrent rapidement un bureau outre-Atlantique. La même années, Jean-François Costa, fils de François et d’Emilie Costa, rejoint l’entreprise. Grand amateur d’art, il réunit dans les années 1970 une collection de 1 500 objets et tableaux du XVIIIe siècle répartie aujourd’hui dans quatre musées (trois à Paris et un à Grasse). « Nos musées sont aujourd’hui le socle de la Maison », reconnaît Agnès Costa, aujourd’hui présidente de Fragonard et arrière-petite-fille du fondateur.
Celle-ci rejoint son père Jean-François Costa en 1985 à la direction de l’entreprise familiale suivie de près par Françoise puis Anne. L’arrivée de cette troisième génération est déterminante dans la modernisation de la Maison et dans son ouverture au monde. Depuis une quarantaine d’années, les trois sœurs apportent un souffle nouveau, une sensibilité aux produits de parfumerie et aux cosmétiques. Elles refondent notamment la communication visuelle et le packaging des produits en s’inspirant de leur goût pour les couleurs, les fleurs et les motifs. Elles se laissent également influencer par les collections textiles de leur mère, Hélène, passionnée par les traditions provençales, et ouvrent en 1997 le Musée Provençal du Costume et du Bijou. « Nous sommes une famille de parfumeurs mais aussi de collectionneurs », confie Agnès Costa.
Une Maison indépendante et tournée vers l’avenir
Uniquement vendue via son e-shop et une vingtaine de points ventes, la marque défend aujourd’hui un système économique basé sur une production et une distribution en circuit court. « Nous n’avons pas d’intermédiaire et sommes totalement autonomes sur la maîtrise des coûts de production et des coûts de vente. Cette liberté est un luxe ! », souligne Agnès Costa.
Mais le plus grand défi de Fragonard se concentre actuellement sur l’environnement. « Nous venons de sortir une gamme cosmétique bio et allons prochainement réaliser un bilan carbone même si cela n’est pas encore imposé par la législation. Si nous voulons rester innovants, nous devons prendre le train en marche ! », s’exclame la dirigeante. Depuis 2018, le recyclage du carton, du plastique et du verre fait partie du quotidien des usines Fragonard où plus rien ne se perd. Cela passe par la transformation du surplus de tissu en accessoires et de vêtements pour enfants à l’isolation à la laine de bois de tous les bâtiments de l’entreprise.
Coté produits, là aussi la Maison innove. Même si la parfumerie reste son cœur de métier, Fragonard propose depuis quelques années des cosmétiques, des accessoires pour la maison, et même des pièces de mode. Une ambition qui s’étend aujourd’hui à la littérature puisque la Maison a récemment lancé son propre prix de littérature étrangère féminine. Une distinction née sous l’impulsion d’Agnès Costa après sa rencontre avec l'écrivain indien, Prajwal Parajuly. « Au fil de leurs discussions, Agnès Costa comprend que sa passion pour la littérature étrangère, les histoires de vie et les voyages sociaux et géographiques, pourrait se transformer en un projet d’envergure où la Maison Fragonard prêterait sa renommée afin d’aider l’émergence de talents étrangers », peut-on lire dans un communiqué.
Et lorsqu’on interroge les trois sœurs sur l’avenir de l’entreprise, rien d’étonnant à ce qu’elles espèrent pouvoir transmettre Fragonard à leurs enfants...