La mode en quête de renouveau
Alors même que l’actualité tant économique que géopolitique ou environnementale impacte les comportements des consommateurs et leur pouvoir d’achat, l’époque offre aux marques de mode l’opportunité de se réinventer. We Are French Touch a réuni les dirigeants de Vanessa Bruno, Maison 123 et Satisfy. Trois exemples, trois incarnations de réussite, trois belles histoires comme on les aime à la French Touch.
Dans le contexte économique actuel, alors même que l’insolente croissance de la mode ces dernières décennies marque le pas et que de nouveaux enjeux apparaissent pour les entreprises, comment réinventer sa marque et ses modèles associés ? Céline Choain, fondatrice de Kea&Partners et experte depuis 20 ans de ce secteur stratégique dans le rayonnement national et international a donné la parole à Axelle Mathery, directrice générale de Maison 123, à Henry Sebaoun, associé de Drôle de Monsieur et directeur général de Vanessa Bruno, et enfin à Antoine Auvinet de Satisfy, nouvelle marque de running.
Créer une marque forte
Axelle Mathery : inventer un storytelling
Sur un marché de la mode moyenne gamme en berne, avec des marques historiques françaises qui ont disparu ou sont en souffrance, Axelle Mathery, nommée il y a quatre ans à la direction générale de Maison 123, a démontré qu’une marque fleuron de l'économie française familiale peut encore être en capacité de générer de la croissance. Dans le giron du groupe familial Etam, Maison 123 existe depuis une quarantaine d’années. Il y a encore quatre ans, l’entreprise perdait de l’argent. « Aujourd’hui elle se porte bien, avec une croissance à deux chiffres depuis trois ans », explique la dirigeante. Le résultat d’un travail en profondeur de réécriture de la marque. La plateforme de marque a en effet été entièrement repensée, en suivant des axes comme l'émotion et le voyage, sur tous ses points de contacts client, newsletter, magasins, vitrines, collections, site internet... Axelle Mathéry de détailler : « Je ne me suis pas attaquée à l'ADN de la marque, je l'ai volontairement mis de côté, puisque son positionnement n'était pas porteur de solutions : femme plutôt mûre, pas soucieuse de la mode, pas ultraféminine, qui achetait uniquement avec un pouvoir d'achat limité puisqu'elle était retraitée. J’ai retravaillé cette cible avec des femmes porteuses de vêtements comme attribut de féminité et qui prennent plaisir à ce qu'on offre régulièrement des nouveautés ». Quel est le vecteur commun des femmes qui rentrent dans des boutiques situées aussi bien rue du Commerce à Paris qu’à Saint-Brieuc ou en galerie marchande ? Pour le savoir, il a fallu rentrer en profondeur dans la connaissance des acheteuses, de leur profil. Une étape majeure pour ensuite réinventer cette histoire et un storytelling inspirant.
Antoine Auvinet : créer une nouvelle vision du running
Satisfy est nouvelle marque dans le monde du sport et du running. Elle a été initiée et inventée par un directeur artistique, Brice Partouche. Ce qui est disruptif pour le monde du sport et du running ! Brice a fondé la marque il y a neuf ans. « Son adolescence a été nourrie par la culture du skate et son art de vivre, avec une façon de s'habiller, des codes, un langage particulier, une musique... Il a fait le constat que, sur le running, cette déclinaison n’existait pas. On était avant tout sur la performance, des temps chronométrés, des caractéristiques techniques », explique le directeur général. L'idée était donc d'engager une communauté autour d’une nouvelle histoire. Le timing aussi était bon, avec une pratique croissante du sport, notamment depuis la crise sanitaire.
Henry Sebaoun : développer le territoire de marque
La marque Vanessa Bruno a été réinventée afin de s'adresser à un nouveau public. La directrice artistique Vanessa Bruno a créé sa marque à l’âge de 25 ans. Elle a connu un vrai succès, notamment grâce à son cabas devenu iconique. Au fil des ans, la clientèle a été conservée, mais sans mener une véritable réflexion par le prisme de l'offre, selon Henry Sebaoun. « L'incarnation de la marque est importante, mais ses valeurs aussi ! La qualité, la fabrication, le craft, le fait main... tout ce qui va incarner visuellement la créativité et justifier le prix », dit-il.
L'hybridation des modèles
Trouver la bonne hybridation de son modèle est une nécessité, rappelle Céline Choain. Conjuguer nouveauté et intemporalité, rapidité d’adaptation et stratégie à long terme, magasin et digital... Quelles sont les différentes dynamiques d’hybridation qui permettent de s’adapter face à une clientèle devenue « full hybdride » ? Selon l’experte, près de 70% des clients déclarent hybrider leur acte d’achat.
Antoine Auvinet : l’hybridation, clé de l’expérience client
Pour cette marque née dans le digital, il fallait trouver une forme d'hybridation adaptée. Aujourd'hui, la majorité du chiffre d'affaires se réalise sur Internet : 40% aux États-Unis puis, en deuxième position, en Corée du Sud. Permettre aux clients de toucher et d'essayer le produit est évidemment une force, surtout quand la qualité et la finition des produits sont uniques, comme chez Satisfy. « C'est même le critère de différenciation principal de notre marque, affirme Antoine Auvinet. Le « wholesale » est donc une évidence ! ». Mais se pose la question du positionnement. Quel « wholesale » choisir et comment vendre ? « Bien sûr on connaît les points de vente positionnés sur ce segment, Dover Street Market, Arrows, etc. Ils permettent d'envoyer d'emblée un message fort avant même que le client ait pu faire l'expérience du produit », explique-t-il. Cette hybridation est l'une des clés du succès d'une expérience client réussie. La cohérence entre les différents canaux de distribution, mais aussi entre les canaux d'engagement, réseaux sociaux ou service client, est aussi nécessaire pour créer un storytelling de marque solide. Dans ce contexte, il faut s’assurer de la qualité des points de vente multimarques. Comment ? « Quand un wholesale veut faire de la place dans ses stocks, et solde à -30 ou -40%, il devient difficile ensuite de maintenir un discours de marque premium et élevé. Le premier élément de vigilance est donc le respect du prix par le multimarque. Bien gérer les équipes des « wholesale » et vérifier qu’elles ne sont pas sur de la performance commerciale court-termiste ».
Henry Sebaoun : trouver le bon équilibre
«Notre marque historique a plus de 30 ans. A l’époque, notre métier était de présenter des collections et de vendre à des revendeurs, grands magasins ou multimarques. Le « retail » nous a permis d'avoir nos propres clients. L'hybridation est obligatoire parce qu'au-delà des canaux de distribution qui vont permettre de faire du chiffre d'affaires, le digital permet de créer de la satisfaction du client. Plus on satisfait le client, plus il va être fidèle. Les trois canaux sont donc complémentaires. Le plus contributif est le retail : On contrôle ses achats, ses points de vente, son budget. Quand on n'a pas suffisamment de « capex » (capital expenditure), on utilise le wholesale parce que c'est un support qui permet de générer du chiffre, de donner de la visibilité. Enfin on ne peut perdurer sans outil digital, parce qu'il permet d'être une première vitrine mondiale, de faire évoluer l'image. Selon lui, la recette gagnante résiderait dans un équilibre autour de « 20 % e-commerce, 40 % wholesale, 40 % retail ».
Axelle Mathery : retail et digital sont indissociables
Chez Maison 123, 85% du chiffre d'affaires est réalisé en magasin et 15% par digital. Le site internet est indissociable de la performance d'un réseau « retail ». C'est la raison pour laquelle il faut le choyer. Parallèlement notre maillage de magasins a été resserré. Certaines boutiques ont fermé : 30% en trois ans. En parallèle, nous en avons réouvert ailleurs, et encore plus depuis deux ans. On a aussi travaillé sur les frais personnels, on a réduit les horaires, on a fait des kits de trafic... Tout ce qu'un bon « retailer » est censé faire. Une approche précise du coût d'exploitation par magasin.
La nécessité de la circularité
Compte tenu de l’urgence de la crise climatique et écologique, la circularité de la mode s’impose comme aux entreprises. « Il n’y a pas une marque qui fait l’économie de cette réflexion », affirme Céline Choain qui rappelle que le secteur de la mode est l’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre et générateur de plastique au monde. Comment intégrer la circularité dans son modèle ?
Henry Sebaoun : contribuer sans altérer le business
Chez Vanessa Bruno, en matière de circularité, nous avons deux grands thèmes. Le premier est structurant : contribuer à moins consommer, sans toutefois altérer le business. Par exemple : consommation d'énergie (nos parcs de magasins sont passés en LED depuis les trois dernières années), nouveau concept de magasin (en bois ou pierre), cintres recyclés. Pour une question technique, on n'a pas encore réussi à éviter le plastique des housses. Vanessa est à moitié danoise, donc beaucoup de choses étaient déjà mises en place. Son produit historique, le cabas, est en toile de coton fabriquée en France et en lin cultivé en Belgique, puis transformé en France. En revanche, je m'interdis de m'enfermer dans une logique qui peut m'empêcher de créer. La création d'abord. Tout ce qui donne du bon sens, on y va sans compter. En se mettant des freins sur tous les sujets, le risque est d’arriver à des prix qui vont faire que beaucoup de nos clients n'auront pas les moyens de se les offrir. La seconde main sera lancée d’ici quelques mains. J’y vois un moyen de satisfaire le client et le fidéliser.
Axelle Mathery : notre seconde main génère du trafic en magasin
La seconde main lancée au mois de février dernier représente plus de 10% du chiffre d'affaires digital, avec une légère perte prévue. Il faudrait faire beaucoup plus de croissance pour dégager un résultat positif. Quand les clientes déposent leurs produits sur ce site, elles obtiennent une carte cadeau utilisable en magasin ou sur le site. L'upsell sur ces cartes cadeaux est de 50%, voire beaucoup plus. C'était l'objet. Grâce à la seconde main, je voulais absolument générer du trafic en magasin. Par ailleurs on ne reprend que des vêtements de Maison 123 avec trois ans d'ancienneté maximum, hormis la saison actuelle bien sûr.
Antoine Auvinet : rallonger la durée du produit
La marque encore jeune. Le volume total de nos produits en circulation n'est pas suffisant pour justifier de la seconde main. En revanche, on fait de l'upcycling. Nos produits déperlants qui sont garantis P0, sans PFAS, sans polluants éternels. Le coton est également organique et biosourcé.
Sur les produits de performance, il n’existe pas jusqu’à présent de substituts au plastique. On travaille sur la durabilité : faire une chaussure qui va pouvoir aller jusqu'à 800 km et pas 600 km, des shorts et des t-shirts à garder plusieurs années. Pouvoir réparer aussi : notre garantie est généreuse avec un service de réparation permettant d'allonger la vie du produit dans la mesure où on ne peut pas substituer aujourd'hui sur certaines catégories de produits aux usages du nylon et d'autres produits.