Le spectacle vivant se perd dans la nature
Assister à un concert de piano sur un radeau de fortune, prendre la clé des champs dans la Provence de Giono, investir une clairière pour un concert classique en forêt. Les acteurs du spectacle vivant ne manquent plus d’idées quand il s’agit de s’aventurer loin des planches en pleine nature. C’est non seulement la bonne saison, mais c’est aussi la tendance à suivre. Haute montagne, prairies anciennes, lac de ville, forêt d’exception, choisissez votre décor, le vivant s’occupe du reste.
La nature lève le rideau cet été sur des mises en scène nouvelles. Aux mille sons, bruissements et chants du vivant, s’ajoutent des mélodies humaines dans des lieux inhabituels. Troupes de comédiens, orchestres, plasticiens mais aussi circassiens et acrobates, investissent champs, pinèdes, montagnes, falaises, vallons et autres reliefs de nos paysages français pour déployer leurs pratiques en plein air. Des arts non plus de la rue mais de la ruralité... Pour ces naturalistes en herbe, les tournées estivales ne vont plus de théâtres en salles de concert, mais des prés après la fauche aux estrans d’arrière-saison. Pour certains l’occasion d’une simple échappée belle. Mais la plupart du temps cette délocalisation champêtre nait aussi d’un désir de faire bouger les lignes du spectacle vivant, avec une réflexion sur les liens entre art et nature, motivée par le souhait plus large de réinventer notre rapport au vivant. Le Covid a servi d’accélérateur à cette envie de mettre le nez dehors, une tendance qui rappelle les premières heures du théâtre antique où les dramaturgies se jouaient sous la voûte céleste. De nouvelles alliances émergent, des créations spécialement conçues pour ces cadres hors normes se montent. On a vu des fermes ouvrir leurs granges à des compagnies d’artistes, des chemins buissonniers accueillir des guitaristes grimpeurs, des lacs se transformer en scènes éphémères, des vaches regarder défiler dans les hautes herbes des troupeaux de spectateurs. Ces créations littéralement hors-les-murs ont le vent en poupe. Le public s’y retrouve, en redemande, et s’équipe... Sac à dos, chaussures de marche, gourdes, couvertures, ponchos de pluie … et pourquoi pas des pinces à tiques ! Pour une pincée de frissons en plus, et des expériences uniques à vivre. Le spectacle vivant n’a jamais aussi bien porté son nom.
À travers champs…
Le spectacle dont on parle :
C’est l’expérience théâtrale qui a ensauvagé l’édition 2023 du festival d’Avignon, et qui, depuis, transhume en France d’une région à l’autre. Fondatrice du collectif 49 701, Clara Hédouin a imaginé sa première « rando-théâtre » à partir du récit de Jean Giono « Que ma joie demeure », romain rural plein de poésie publié en 1935 dans lequel l’écrivain annonce avant l’heure la perte de sens du métier d’agriculteur. D’une durée de sept heures (oui !), avec un départ à l’aube, la pérégrination s’est organisée la première fois sur les hauteurs du village de Barbentane, à une vingtaine de kilomètres de la Cité des Papes, dans le chant assourdissant des cigales, guidée par dix comédiens entrainant le public à travers prairies, clairières et forêt. Un groupe de paysans frappé par une mystérieuse tristesse fait la rencontre à la lisière d’un étranger qui va transformer leur relation à la terre. Beaujolais, Ariège, Île de France, Charente, etc… une performance nomade qui s’adapte aux reliefs, à la végétation, et bien sûr à la météo du jour, quitte parfois à annuler in extremis devant un orage qui menace. Rhume des foins s’abstenir.
Prochaine date :
Le 21 septembre, pour le festival de l’Avant-scène, à Cognac, dans un lieu tenu encore secret. www.avantscene.com
En forêt…
L’artiste dont on parle :
Depuis qu’Olivia Gay a imaginé ce format de concert immersif, une heure trente de concert en pleine forêt par un duo violoncelle piano, son nom est désormais indissociable des arbres. Le spectacle, intitulé « le Silence de la forêt » en écho à l’œuvre d’Antonín Dvořák, est aussi une référence au désastre des méga-feux qu’a connu la France récemment. Joué désormais aux quatre coins de l’Hexagone le spectacle est né d’une envie profonde de sensibiliser le public aux enjeux de la forêt. La violoncelliste est accompagnée en alternance par les pianistes Célia Oneto Bensaid et Aurélien Pontier. Ils interprètent des oeuvres d’Edward Elgar, d’Antonín Dvořák, de Gabriel Fauré… Devenue depuis ambassadrice du fonds de dotation ONF-Agir pour la forêt, Olivia Gay a lancé une série de concert ouverts gratuitement au public dans sept « forêts d’exception », un label de l’ONF. Chaque concert est précédé d’une visite commentée par un forestier et d’une conférence sur les bois de lutherie.
Prochaine date :
Le 1er août, concert du « Silence de la forêt » dans le Parc du Pian de Menton, suivi d’une promenade crépusculaire. Dans les Alpes Maritimes. Tandis que huit autres représentations, des Vosges à l’Indre, sont prévus jusqu’à la fin de l’été. Réservations et points de rendez-vous sur olivia-gay.com
Sur l'eau…
Le spectacle dont on parle :
Tout est parti de l’amour d’une musicienne originaire du Nord, Cécile Wouters, pour la « betchète », un bateau de rivière traditionnel à fond plat permettant aux marins d’eau douce de naviguer presque partout. C’est maintenant les musiciens du PianO du Lac qui sillonnent la France avec leurs fières embarcations. Une soixantaine de concerts ont été donnés depuis la création du PianO du Lac. Le principe ? Un pianiste (Robin Rivoire) et une violoniste (Anouk Morel) jouent sur un radeau tout un répertoire, allant du jazz aux musiques du monde, comme le forro brésilien, pendant que le public assis dans l’herbe sur la berge se régale du spectacle. Gare à la marée et aux éclaboussures sur le beau piano quand l’orchestre s’aventure parfois en bord de mer… Après plusieurs dates en début d’été, un nouveau spectacle « Marinero » prend le relais en juillet, avec Nathalie Morazin au piano et Samuel Arnoux au chant et à l’accordéon.
Prochaine date :
Les 20 et 21 juillet « Marinero » se joue sur le lac Kir à Dijon, puis larguera les amarres le 23 sur l’étang de Breuil à Bourbon-Lancy, en Saône-et-Loire, avant de partir finir le mois vers le lac Saint-Clément (Allier), le lac de Chambon (Puy-de-Dôme) et celui de la Cisba (Aveyron). polpoproductions.com et pianodulac.eu
En montagne…
Le festival dont on parle :
La haute montagne corse comme décor, qui dit mieux ? Arti Muntagnera est né de la volonté de créer, sur l’île de Beauté, des rencontres entre le spectacle, les arts plastiques et le public. En plein air, les pieds dans le sable, l’herbe ou sur la roche, les spectateurs sont conviés à suivre cette « transhumance des arts » de la côte aux hauts plateaux. Les artistes eux-mêmes s’emparent des moyens du bord pour arriver, à pied, en canoë, en bateau, sur les lieux des spectacles... Des sites chargés d’histoire, entre mer et maquis, comme la cascade de Radule, le Col de Vergio, cette frontière entre la Haute Corse et la Corse du Sud, ou encore le phare de Senetosa, l’un des derniers habités de France… L’évènement de quatre jours au format intimiste accomplira fin août sa neuvième édition. « Un festival clé en main qui s’adapte au milieu », explique l’organisateur. Et non l’inverse, tout est dit. Le quota de participants permet de préserver la confidentialité. En revanche la programmation s’étire au possible : cirque, musique, danse, cinéma expérimental, chants polyphoniques comme la Corse sait en offrir.
La prochaine date :
Du 23 au 26 août, Arti Muntagnera remet le cap sur la haute montagne avec un programme pluridisciplinaire dans des lieux enchanteurs. En particulier le dimanche 25 où, après un rendez-vous au spectaculaire col de Vergio, le plus haut col de Corse, il y aura encore 30 minutes de marche pour arriver dans un endroit secret. Pour connaître la suite, il faudra y être. Artimuntagnera.com