Les 10 tendances à retenir du dernier festival SXSW
Chaque année, à Austin, juste avant le printemps, South by Southwest (SXSW) tient la grande messe internationale de l’entertainement. Dédié à la culture, au cinéma, à la musique, le festival est aussi « the place to be » pour humer les dernières tendances en matière de nouvelles technologies. Fidèle au rendez-vous, Perle Bagot, la cofondatrice du Hub Institute, a identifié les dix tendances qu’il ne fallait pas rater cette année.
1/ IA : de la fascination à la réflexion
À South by Southwest, qui avait lieu du 8 au 16 mars à Austin, l’IA (générative) demeure la star incontestée, focalisant toutes les attentions durant les trois jours de cet évènement suivi par plusieurs centaines de milliers de visiteurs. En termes d’intensité d’échanges, le festival texan reste inégalé, dans les conférences, les débats, les rencontres, avec des intervenants uniques, autant pures players que Gafam, sur les grands sujets d’actualité, même si politique et préoccupations d’écologie n’ont pas tenu le devant la scène cette fois. Dans les échanges, toujours beaucoup de questionnements sur l’avenir, c’est l’ADN de SXSW : on vient à Austin pour prendre de la hauteur, pour s’interroger sur le futur. À cette édition 2024, après l’excitation des éditions précédentes notamment sur le Métaverse, on pouvait sentir une ambiance de fin de fête, « un peu gueule de bois ». Et, dans les débats, une envie nouvelle de réflexivité, partagée par de nombreux intervenants, avec un fond d’inquiétude aussi sur différents sujets comme l’évolution du travail. La question de la valeur reste centrale : qui détient cette valeur ? Est-ce l’homme, la machine ? L’IA fascine autant qu’elle effraie. Et les controverses vont bon train !
2/ Tous « future shocked » ?
Le contexte du développement fulgurant de l’intelligence artificielle générative rappelle cette formule inventée par le sociologue Alvin Toffler (1928-2016) dans le livre « Future Shock » publié en 1970, devenu best-seller. Nous sommes tous « future shocked ». Ce « choc du futur », c’est le stress provoqué par un changement rapide notamment des technologies dépassant la capacité d’adaptation de l’humain. Ce choc peut être particulièrement grave quand les individus ont le sentiment de ne pas maitriser les changements, expliquait Toffler. C’est ce qu’on a pu ressentir, à bas bruit, durant ces trois jours à Austin. Des crispations, des tensions, des questionnements, sur l’avenir des métiers (des industries de contenu) et sur l’impact environnemental puisqu’on sait que l’IA demeure énergivore et que la principale source de pollution numérique vient de la fabrication des appareils électroniques. L’IA générative est loin d’être parfaite et doit être encadrée : fake news, plagiat, droits d’auteur, sécurité, etc.
3/ La puce, grande gagnante
Suivre l’actualité du secteur des semi-conducteurs permet de saisir les mouvements et les enjeux de l’IA générative. Mark Zuckerberg a annoncé vouloir investir massivement d’ici la fin de l’année dans les cartes graphiques du géant californien des puces à destination de l’IA générative Nvidia - à hauteur de 10 milliards de dollars. Sam Altman (pdg d’OpenAI) a lui présenté un plan visant à construire de nouvelles usines de puces en silicium, par une levée de fond de sept trilliards de dollars. De part et d’autre de l’Atlantique, on assiste à une « course aux armements » : l’UE investit massivement pour devenir moins dépendante de l’Asie tandis que les Etats-Unis montent en puissance grâce à des méga-projets. Valorisée aujourd’hui à plus de deux mille milliards de dollars (devant Amazon, Microsoft, Apple), le leader mondial des GPU Nvidia délivre aujourd’hui 80% du marché des microprocesseurs (principal composant des systèmes d’IA générative). Parmi les nouveautés 2024 de Nvidia, que son pdg Jensen Huang a dévoilé lors de la grande conférence des développeurs qui a eu lieu mi-mars sur la côte Ouest, figurent des « super puces » 30 fois plus performantes que la génération précédente, celle ayant servi à entrainer les modèles d’IA existants. Leur autre gros projet, c’est le premier robot équipé d’une technologie spécifique (Gr00t) conçue pour comprendre ce que disent les humains, imiter leurs mouvements, apprendre de leur propre expérience sur la façon d’interagir rien qu’en observant.
4/ La course aux alliances
La course est lancée entre géants digitaux, mais aussi avec les acteurs open source. Les acteurs de l’IA générative sont déjà en train de devenir eux-mêmes des géants, avec des valorisations élevées, à la croissance exponentielle pas toujours proportionnelle à celle de leurs chiffres d’affaires. OpenAI (évalué à plus de 80 milliards de dollars) en tête, suivi de Hugging Face, d’Anthropic, d’Inflection, de Cohere, etc. On assiste aussi à de nouveaux partenariats entre Gafas et acteurs de l’IA générative, typiquement OpenAI avec Amazon et Microsoft. À noter le rapprochement (pas encore officiel) entre Apple et l’IA de Google, Gemini. Une alliance à première vue surprenante de la part d’Apple qu’on sait plutôt refermé sur son écosystème. Est-ce de l’opportunisme de la part d’Apple en retard sur ces sujets ? En parallèle, on assiste à l’apogée des fondateurs de la tech, ces visionnaires (Musk, Bezos, Zuckerberg, Cook…) devenus de véritables gourous avec leur folle ambition de sauver l’humanité.
5/ X, Y, Z… et T
La formule est d’Amy Webb, fondatrice du cabinet de prospective Future Today Institute, laquelle ouvre chaque année le festival par une conférence très suivie sur les tendances. L’ancienne journaliste évoque l’émergence d’une nouvelle génération dans cette ère technologique. Après les générations X, Y, Z, place à la « Gen T ». T pour transition (technologique). Une génération proactive, même militante, dit-elle.
6/ Super cycle, super machine
La formule est aussi d’Amy Webb. L’addition des nouvelles technologies engage la société vers des changements profonds, politiques , économique s, sociétaux, explique-t-elle. Face à ce qu’elle appelle le « super cycle », cette grande transition, Amy Web développe un discours très à l’américaine : « We don’t have to submit, we don’t have to give up ». Et de détailler ce nouvel arsenal. Tout est bon en effet pour continuer à alimenter en données les modèles. Les objets connectés (l’Internet des Objets ou IoT) ne font pas exception, ils s’imposent même au cœur des enjeux, notamment dans la santé. Amy Webb a aussi évoqué l’émergence des « face computers » : ces dispositifs portables en forme de masque, adaptés au visage humain, capables de générer de l’information (décryptage des intentions d’achat par exemple) à partir d’émotions grâce à des capteurs sensibles à la dilatation de pupilles. Avec l’intelligence organoïde on montre encore d’un cran dans la technologie. Exit l’AI, bienvenue dans l’OI, avec des machines composées de vrais neurones, des ordinateurs constitués de cellules humaines qui seraient, selon la spécialiste, performantes et moins énergivores. Enfin dernière innovation à surveiller : l’émergence du Large Action Model (LAM) avec le succès commercial, au dernier CES Las Vegas, de Rabbit R1. L’appareil qui détient la capacité d’apprendre et de reproduire des actions de manière autonome sait effectuer des tâches sur diverses applications en imitant les interactions humaines. Envoi de messages, choix de musique, achats à distance.
7/ IA et travail : le grand chamboulement
Nouvelles compétences, expérience employé, numérisation du lieu de travail, apprentissage en continu, formation des salariés, lieu de travail décentralisé, vaste sujet ! La valeur travail s’invite partout dans les débats de l’IA générative. D’ici 2028, 50% des employés auront un assistant IA (source Gartner). À la clé des millions d’emplois perdus ou modifiés, selon Goldman Sachs. À Austin, les experts parlent surtout d’un « boost » de la productivité. Selon Ian Beacraft et Mike Bechtel de Deloitte, un quart des tâches pourraient être automatisées. Ils soulignent l’importance de mettre en récit les nouvelles compétences. L’IA générative apparait comme un second cerveau, un « sparring partner » libérant de la dépendance aux expertises techniques. La technicité s’efface au profit de la créativité.
8/ « Makers » versus « talkers »
Dans l’entreprenariat la valorisation change de camp. Avec l’IA générative on passe d’un monde de savoir-faire techniques à un monde de compétences que seul l’humain détient. Selon John Maeda, VP design&artificial intelligence de Microsoft, l’IA générative redonne donc le pouvoir à ceux qui pensent (les entrepreneurs) par rapport à ceux qui font (développeur, ingénieurs, designers)… L’IA générative entraine une révolution pour la production de contenu à vitesse fulgurante et la guerre des talents entre en mutation. Bonus désormais pour le creative-generalist, celui qui créé à lui tout seul un maximum de valeur, le talker qui sait parler aux machines, le solopreneur… Le métier de « prompt ingénieur » a vocation à devenir une compétence pour tous. Au même titre que l’informatique il y a trente ans ! On a appris à se servir d’un ordinateur, on va devoir maintenant apprendre à parler à la machine.
9/ À l’école de l’IA
Se former aux outils de l’IA générative, c’est le grand défi de l’avenir. Tel est le message de Sandy Carter : « Arrêter de résister et commencez à vous former !» Lors d’une conférence également très suivie, l’ex-général manager d’IBM a énuméré les trois compétences-clés qui selon elle font force : « le management de transition, l’empathie, la tech ». Encore une fois cette nouvelle ère du travail dépendra de la manière dont nous considérons le travail, poursuit l’experte, avec des impacts sur la manière de travailler en équipe (effectif moins nombreux, compétence moins axée sur le savoir-faire technique) et sur la valeur générée. L’IA doit être intégré à toute l’entreprise, insiste-t-elle. C’est une disruption multifacette se caractérisant, on l’a vu, par l’addition et la complémentarité des technologies : l’IA mais aussi les objets connectés, les « face computers », les jumeaux numériques. Enfin, elle est revenue sur l’enjeu de la traçabilité, la « tokenisation » des actifs sur la blockchain assurant la traçabilité, la sécurité ainsi que la gestion des droits de propriété.
10/ Les RS face à la vague
Autant en BtoB qu’en BtoC, les réseaux sociaux surfent sur la vague et l’intelligence artificielle générative est exploitée à des fins de développements d’usages innovants. Ainsi Tinder expérimente un outil visant à améliorer les profils de l’utilisateur en recommandant une sélection de ses cinq meilleures photos de profil. L’IA permet à LinkedIn de personnaliser les fils d’actualité et d’accompagner l’utilisateur dans l’optimisation de ces posts. L’IA agit chez Meta à travers l’utilisation d’un bot conversationnel conçu pour renforcer l’engagement et chez TikTok par la création de scripts publicitaires plus accrocheurs. YouTube a annoncé la création, en partenariat avec Universal Music, d’un incubateur dédié à l’IA générative. Spotify a dévoilé un DJ basé sur l’IA. Enfin Instagram développe un « ami IA » dont on pourra choisir le genre, l’âge, la personnalité, le nom… En toile de fond de ces innovations, se pose la question de la transparence ? Les plateformes pourraient, en effet, bientôt rajouter des mentions « généré par l’IA ».