Rien à foutre, Belleville et Anne Berest… Les coups de cœur de Lola Bessis
De Belleville à Tunis, la réalisatrice et comédienne Lola Bessis nous embarque dans son monde, et nous partage ses inspirations du moment.
Le cinéma ne cesse de sourire à Lola Bessis. Premier film réalisé à 21 ans aux Etats-Unis, des publicités pour l’univers du luxe, une carrière d’actrice dans plusieurs films indépendants américains ainsi que dans la série australienne Picnic at Hanging Rock, des parodies sur Canal+ avec Catherine et Liliane... La suite s’annonce tout aussi excitante avec deux films en préparation, tous les deux coréalisés avec Ruben Amar : le road-movie Silver Star qui sera tourné à New York en fin d’année et une comédie romantique, Philippine sur orbite, produite par Avenue B (tournage été 2023) dans laquelle Lola Bessis joue aussi le rôle principal. Cette véritable touche-à-tout nous partage ses coups de cœurs.
Un quartier où se perdre
« Belleville ! Mon quartier ! J'adore me promener aux Buttes Chaumont, c’est une source d'inspiration intarissable. J’aime par-dessus tout son cosmopolitisme qui me rappelle celui du Lower East Side où je vivais à New York. Belleville donne l'impression de voyager sans bouger de chez soi. J'aime les commerçants comme ceux de l'épicerie égyptienne « Le Caire ». Avec ses mille et une épices et parfums, on se croirait dans la caverne d'Ali Baba. Ou encore le supermarché asiatique « Les Halles de l'Asie ». J'aime cuisiner, alors c'est le paradis. Et quand j'ai la flemme, je prends un « phô » (le plat typique vietnamien) chez Yu, rue de Belleville ».
Un livre à dévorer
« Sans hésiter La Carte postale d'Anne Berest. Nous avons été jurées ensemble au Festival de Deauville il y a quelques années. Elle m'avait alors dédicacé son live Sagan 1954 que j'ai adoré. J'ai ensuite dévoré Gabriële, coécrit avec sa sœur Claire, dans lequel elles remontent sur les traces de leur arrière-grand-mère Gabriële Buffet-Picabia qui a eu mille vies, un vrai travail d'enquête. Son dernier livre La Carte postale est un texte majestueux dans lequel Anne Berest continue de tirer le fil de l'enquête intime en réveillant les fantômes d'autres aïeux, tristement disparus à Auschwitz. C'est un livre majeur, troublant et ludique à la fois. Elle y décrit un pan de l'histoire que l'on connaît tous, mais que l'on a du mal à se figurer tant cela semble irréel, impossible... Anne nous y plonge en plein cœur, comme si on y était. D'ailleurs le livre est sorti à peu près au même moment que le merveilleux film de mon amie Frankie Wallach Trop d’amour qui met en scène, avec beaucoup de sentiments et d'humour, sa famille, avec en tête sa grand-mère Julia, rescapée des camps. »
Un film à découvrir
« La dernière claque que j'ai prise au cinéma c’est avec Rien à foutre d’Emmanuel Marre et de Julie Lecoustre. Adèle Exarchopoulos y est exceptionnelle. J'aime la part de documentaire qu'il peut y avoir dans la fiction : l’impression d’être dans la réalité tout en la dépassant. C'était déjà le cas dans le très beau moyen-métrage d'Emmanuel Marre, D’un château l’autre. J'avais aussi beaucoup aimé ce mélange des genres dans La Bataille de Solférino de Justine Triet, une réalisatrice qui vient elle aussi du documentaire. »
Un personnage de série inspirant
« Je suis tombée amoureuse récemment de Villanelle dans la série Killing Eve interprétée par la fantastique comédienne anglaise Jodie Comer. C'est une femme forte et moderne qui assume ses désirs, tout en étant très drôle et pleine de fantaisie. C'est aussi le cas de Midge dans une autre série réussie Mrs Maisel qui se déroule dans les années 50 dans l'univers du « standup » à New York. Mais aucune héroïne n'a encore détrôné à mes yeux Hannah Horvath dans Girls ! »
Un parfum fétiche
« L'odeur du jasmin à Tunis. J'en suis originaire et j'y retourne presque chaque été. Il y a une ambiance très particulière, indescriptible... Le jasmin se mêle à l'odeur du couscous, comme celui du restaurant « l'Arbre à couscous » à la Marsa ou du thé à la menthe et aux pignons au fameux « Café des Nattes » à Sidi Bou Saïd. »
Une recette emblématique
« La Minestra di verdure , une soupe italienne issue de la cucina povera (la cuisine du pauvre en italien, ndlr) composée d'une farandole de légumes et de petites pâtes que ma grand-mère Nonna, grande cuisinière d'origine toscane, fait à merveille. C'est ma Madeleine de Proust. Cette recette et Nonna sont d'ailleurs les stars d'un petit documentaire que je viens de réaliser dans le cadre du Grandma's project , une série documentaire qui traite de la transmission à travers la cuisine. Le concept ? Plusieurs réalisateurs filment leurs grand-mères autour d'une recette emblématique qui leur évoque leurs racines, leur histoire. »
Une photo à partager
« J'aime beaucoup le photographe chinois Ren Hang, tristement disparu en 2017. Je l’ai découvert il y a près de 10 ans alors qu'il était encore inconnu. J'avais alors acheté trois de ses clichés. Il est aujourd'hui devenu une référence incontournable dans le monde de la photo contemporaine. J’aime sa liberté, son art de la subversion et sa représentation très personnelle du nu et du désir dans une Chine qui réprime la liberté d’expression. Ma photo préférée représente deux individus nus s’embrassant sous une pluie de poussière (ou bien est-ce de la neige ?). Elle trône dans mon salon, et la regarder me fait du bien. Que ce soit dans le contexte terrible de la crise du Covid ou de la guerre en Ukraine, elle me rappelle la nécessité de continuer à s’embrasser et à s’aimer, même dans l’adversité. »
Une musique à écouter en boucle
« Là où les saules ne pleurent pas, le nouvel album de mon ami Adrien Gallo est d'une poésie rare. J'étais à son concert au Trianon en avril. C'est un grand artiste qui manie à merveille les mots et les mélodies. Sous leurs faux airs de comptines, ses chansons sont porteuses d'un vrai fond et empreintes de mélancolie. »
Photo : ©Matthieu DELBREUVE@Kaptive