Les inspirations de l’artiste Mathias Kiss
Connu pour des œuvres comme que le Miroir Froissé, Golden Snake ou encore ses Sky Painting, liant l'artisanat d'art à l'art contemporain, Mathias Kiss ne cesse de surprendre par un travail disruptif. Confidences de l'artiste sur ses inspirations du moment.
Passé maître dans l’art de jouer avec les codes et les références, cet ancien compagnon formé très jeune à la restauration de monuments historiques est devenu une figure de l’art contemporain. Ses œuvres, ses installations monumentales, ses peintures, et ses sculptures, que privés, marques et institutions s’arrachent, prennent l’apparence de miroirs froissés, de cadres qui s’évadent, de corniches qui se font la malle... D’origine hongroise par son père qui fut réfugié politique durant les années de guerre froide, l’artiste Mathias Kiss (qui veut dire « petit » dans sa langue paternelle) n’aime rien tant que s’emparer des travers de notre époque pour en interroger le sens, se questionner lui-même sur sa propre histoire, dans un va-et-vient perpétuel entre l’hommage et la critique, le coup de chapeau et la désobéissance. Sa manière personnelle de tracer une voie singulière entre l’artisanat, l’art contemporain et le design.
Dans son nouvel atelier du nord-est de Paris, un loft chaleureux, calme et ouvert sur le ciel, dans lequel il a reconstitué son univers, un espace tout en dénivelés et recoins cachés où il entrepose son matériel, créé et vit à la fois, celui qui revient encore et toujours sur ce savoir-faire acquis durant de longues années de compagnonnage, des années dures et sans pitié, mais école de l’excellence, nous reçoit sans protocole, regard rieur, voix douce et naturel élégant. Pour parler des fondamentaux de ses créations, des rituels qui rythment son quotidien, de la nécessité de ralentir le rythme et de son envie de transmettre.
Le ciel
« Le ciel est le symbole universel de l’évasion. Une fenêtre sur un autre monde. Une échappatoire dont nous avons tous besoin. Il représente ce qu’on ne peut atteindre. Et c’est une figure récurrente dans mon travail. J’aime les ciels en mouvement, quand les nuanciers de gris, de vert et de bleu se confondent. Je me suis amusé à le représenter sous différents aspects. Par exemple sur l’une de mes séries sur toile, le ciel apparait sous forme de pixels. On peut y voir évidemment une allégorie de l’ère numérique, même si, pour moi, c’est plutôt une référence aux mosaïques de Pompéi. J’ai aussi fait des ciels en papier collé. Dans mon parcours de compagnon, le ciel occupe une place à part. Quand j’ai commencé apprenti à l’âge de 14 ans j’étais celui qui poussait l’échafaudage de celui qui réalisait l’œuvre... J’étais le « bibi », comme on dit. Donc le ciel représentait pour moi la peinture de l’artisan accompli, celui que je voulais être plus tard. Contrairement à l’imitation du marbre ou du bois qui implique des trames, la peinture d’un ciel est une interprétation personnelle, une réalisation hors d’un carcan académique ».
L’œuvre « Les oiseaux » de Georges Braque, au Louvre
« Quand j’ai découvert cette peinture monumentale réalisée sur un plafond du musée du Louvre (au premier étage de l’aile Lescot), j’étais encore novice. J’avais la chance de travailler au Louvre mais c’était pour exécuter des tâches ingrates, comme dépoussiérer à la potasse les corniches des cadres. Donc quand j’ai vu ces « Deux oiseaux » de Georges Braque, représentés dans cette couleur bleu profond, c’est la conscience de la possibilité de transgression qui m’a d’abord saisi. Comment pouvait-on laisser un type rompre à ce point avec les règles de l’académisme dans un endroit comme le Louvre ? J’y ai vu très vite aussi l’expression même de la liberté. George Braque devenait mon super héros, un Jeff Koons avant l’heure. Lorsqu’aujourd’hui je réalise mes séries de cadres, je redeviens cet ouvrier qui se rebelle contre sa fonction, et par là même se libère du déterminisme. C’est le fil directeur de mon travail. J’ai envie de faire découvrir cette peinture que peu de monde connait finalement. »
Le paquet de cigarettes
« Je n’ai pas touché à une cigarette avant l’âge de trente ans. Et pourtant je ne peux m’empêcher d’être fasciné par le cowboy de Marlboro pour ce qu’il incarne de cette époque ancienne, quand les paquets ne portaient pas encore la mention « Fumer tue ». Je me représente le bar-tabac comme un magasin de bonbons pour adultes, avec ces présentoirs muraux aux couleurs des différentes marques. Elles sont les vestiges d’un monde. Leur esthétique a marqué plusieurs générations. Certains de leurs design et typographies sont devenus iconiques. »
La série Colombo
« La série est diffusée à 21h le samedi sur la chaine TMC. Et chaque samedi soir, quoiqu’il arrive, je regarde l’épisode de la semaine. Je n’en rate jamais un. Un rituel. Colombo est pour moi l’anti-héros de notre époque. Il peut ne rien se passer durant cinq minutes - aucun dialogue, aucune action-, la caméra continue de filmer la scène. On suit Colombo, incarné par l’incontournable Peter Falk, ouvrir un placard, sortir un verre, le poser sur la table, dire « De la glace ? ». Je ressens alors l’impression de voir apparaitre un oncle de province venu me visiter. C’est un feuilleton qui a fait tourner, entre les années 1960 et 1990, les plus grands réalisateurs américains, de John Cassavetes à Steven Spielberg. Cela marque la fin des États-Unis opulentes, on est aussi avant l’ère Reagan, donc avant le tout technologie. La série se situe à Los Angeles, dans des décors incroyables. Évidemment j’y vois aussi un bon prétexte à rester chez moi. C’est une forme de méditation. Colombo c’est un doudou. »
Le bang
« C’est l’intitulé d’une de mes œuvres réalisées notamment pour l’exposition « C’est le bouquet » de la commissaire d’art Sophie Toulouse (du 8 juin au 31 juillet à la galerie Hyperbien à Montreuil, du 13 au 18 juin à la librairie OFR dans le Marais à Paris, et du 21 juin au 31 juillet au 104 à Paris). J’avais déjà exposé auparavant cette bulle de dessin animée hyper naïve. On peut aussi y voir une ornementation brutaliste. Je me rends compte que quand je creuse il y a encore ici quelque chose liée à l’enfance. Les années pop. Toutes les BD d’Astérix. J’ai voulu représenter le « bang » de l’explosion, mais c’est aussi l’expression d’un coup de poing donné dans le mur. La notion de cadre très présente dans toute mon œuvre apparait ici, mais sous la forme d’une rupture. »
Mes pinceaux
« Le pinceau, c’est mon crayon. Dans le métier, on utilise le terme de « brosse ». Mes brosses ce sont mes clés de destination, mon « pass » vers l’ailleurs. Composé d’un manche, d’une virole (la partie en cuivre) et de ses poils, chaque pinceau a une histoire. Sa valeur se forge au fil des ans. A l’inverse on dit d’un pinceau neuf que c’est un chou-fleur. Il perd ses poils, et c’est en l’utilisant qu’il va s’épaissir de peinture et devenir plus précis. J’ai gardé toutes mes brosses d’apprenti, j’en possède depuis mes 14 ans. Ce ne sont pas que des outils, c’est un patrimoine. Il y a en a un pour chaque type de travail. Et donc chaque pinceau me rappelle une campagne, c’est-à-dire un chantier de restauration auquel j’ai participé, comme celui du théâtre du Capitol à Toulouse en 1996. Je m’y attache. »
Air
« Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel, les musiciens du groupe Air, sont aujourd’hui des amis proches. Adolescents nous ne nous serions pourtant jamais croisés. Je suis originaire moi-même d’une banlieue de Paris où personne ne connait leur musique ! Quand nous nous sommes rencontrés il m’impressionnait pour ce côté cultivé et très branché. Ils représentaient la musique électronique composé de lyriques en anglais alors que je n’en parle pas un mot et que je sais à peine me servir d’un ordinateur. Notre histoire nous a finalement réunis avec Nicolas. D’abord pour ce que nous avons vécu enfants et, ensuite, pour cette façon dont l’art nous a sauvé, chacun à notre manière. Je me reconnais dans ses malheurs d’adolescent. Et tout comme lui, j’ai envie de transmettre aux autres ce vague à l’âme et ces émotions ressentis plus jeune. Ce n’est pas pour rien si mes compositions de ciels s’intitulent « Besoin d’air » (une sérigraphie exposée lors d’une carte blanche au Palais des Beaux-Arts de Lille en 2019). Nos blessures d’enfant sont similaires dans leur traduction. »