Moving Forward : Laëtitia Daché met en lumière les femmes chorégraphes
©_Michaël_Guichard - Laëtitia Daché Rencontre avec Laëtitia Daché, chorégraphe, danseuse et directrice de CONTRA, à l'occasion de l’évènement Moving forward (du 26 mars au 1er avril 2025), dédié à la création chorégraphique contemporaine et aux femmes chorégraphes.
Du 26 mars au 1er avril 2025 aura lieu l’évènement Moving forward, dédié à la création chorégraphique contemporaine et aux femmes chorégraphes. Au programme : des performances exceptionnelles signées par des femmes chorégraphes émergentes ou confirmées, mettant en lumière une diversité d’esthétiques et de personnalités. Un événement organisé par la compagnie CONTRA, en partenariat avec le ministère de la Culture et la Ville de Paris (retrouvez toutes les informations sur l’événement en cliquant ici).
A cette occasion nous avons rencontré Laëtitia Daché, chorégraphe, danseuse, directrice de CONTRA et auteure d’In the distance, un triptyque de courts métrages chorégraphiques récompensé lors de nombreux festivals internationaux.
French Touch : Qu’est-ce qui vous a amené à devenir chorégraphe ?
Laëtitia Daché : Je chorégraphie depuis très jeune, c’est la musique qui m’a toujours beaucoup inspirée et guidée vers l’écriture du mouvement. J’ai d’ailleurs fondé la compagnie CONTRA en référence à l’aspect contrapuntique du mouvement (l’art de créer des lignes mélodiques indépendantes qui s’entrelacent harmonieusement, à l’image du contrepoint en musique, ndlr), parmi d'autres éléments. J’ai aussi eu envie de m’atteler à la complexité des émotions humaines, que j’ai voulu dépeindre par le mouvement. C’est une vraie plongée dans l’inconnu sans certitude d’y trouver réponse, mais c’est aussi ça qui est vertigineux et excitant dans le fait de chorégraphier.
FT : Qu’est-ce qui inspire à créer une chorégraphie ?
LD : Ma dernière pièce, In the Distance, un triptyque chorégraphique sous forme de courts-métrages, était en grande partie inspirée par des compositeurs et des auteurs de musique. Comme le pianiste Jean-Philippe Riopy, que j’ai découvert lors d’un concert. Ça a été une évidence que l’une de ses musiques était faite pour une partie de la pièce, que je commençais avoir en tête.
Les créateurs de mode aussi m’inspirent. J’aime beaucoup voir le mouvement du vêtement, son poids, son tombé, sa texture.
Depuis plus récemment, je m’intéresse à lumière. Le travail de la lumière du photographe de mode Paolo Roversi me fascine. Je me suis aussi replongée dans l’œuvre du Caravage. Après Moving forward, approfondir mes recherches autour de la lumière pourraient devenir une priorité.
FT : Sentez-vous que votre chorégraphie a évolué au fil des années ?
LD : Mon parcours de chorégraphe étant encore relativement jeune, je dirais que la matière de mes chorégraphies sont davantage amenées à évoluer qu’elles ne l’ont déjà fait. Et ce d’autant plus que je souhaite me confronter à l’inconnu et explorer au-delà d’une certaine zone de confort. Par exemple en découvrant de nouveaux matériaux chorégraphiques, en expérimentant des façons inédites de se mouvoir ou de concevoir une pièce, et en comprenant ce que ces matériaux peuvent provoquer.
Dans le cas d’In the Distance, il y a une forme d’évolution entre l’écriture de la première partie et celles des suivantes. Une énergie continue était au cœur de la première, la deuxième et la troisième m’ont confrontée à des énergies plus concentrées, plus intérieures.
Je sens toutefois que certains éléments reviennent naturellement, sans que j’y porte une attention particulière. Il y a toujours dans mon vocabulaire chorégraphique quelque chose qui relève de la fluidité, du caractère liquide du mouvement.
FT : Avez-vous un rituel ou une routine particulière pour commencer une nouvelle chorégraphie ?
LD : Ce qui m’intéresse, c’est la complexité des sensations, des émotions, des expériences que l’on traverse au cours de notre vie et leurs imbrications. De cela me viennent des sensations, des concepts, des images, reliés à une thématique globale. Ce peut être un point de départ, mais qui n’est pas nécessairement marqué dans le temps car ces ensembles d’idées, cristallisées par de la prise de note, se construisent sur un temps très long.
Quand je travaille sur une pièce donnée, je commence par prendre un groupe d’idées que j’ai envie de développer. J’y passe un peu plus de temps, j’y ajoute d’autres images, des inspirations, des lectures… et de la musique, identifiée avant ou après. C’est bien la musique qui va cristalliser le mouvement qui va prendre forme dans le studio. Elle a une place centrale dans le processus créatif.
FT : La technologie a-t-elle un impact sur votre processus créatif ?
LD : Je ne suis pas vraiment séduite par l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le processus de création du mouvement ou de musique. En revanche il y a un autre terrain sur lequel l’utilisation de la technologie m’intéresserait beaucoup, c’est celui de la scénographie. Pour ma prochaine pièce, j’envisage un gros élément de lumière via projection ou écran. De ce côté-là, des outils d’IA pourraient affiner la composition scénographique, ou permettre l’intégration d’éléments numériques ou d’images dans la scénographie, mais je ne m’y suis pas encore vraiment penchée.
FT : Moving forward vise à mettre en lumière des femmes danseuses et chorégraphes. Quels sont les défis auxquels vous avez été confrontée dans votre récente carrière ?
LD : Le secteur de la danse est à la fois très dynamique et connaît une forme de fragilité. Autour de moi j’ai vu des artistes qui ont abandonné, et de nombreux autres qui y ont pensé à cause de la difficulté de structurer une compagnie ou d’émerger au sens large. Une jeune compagnie doit gérer la création, les artistes, la technique, l’administratif, la diffusion, la communication… C’est beaucoup de choses pour parfois peu de moyens ou des équipes réduites. J’ai voulu réfléchir à ce que l’on pouvait faire pour soutenir le secteur de la danse et surtout ses acteurs, notamment les chorégraphes en début ou en milieu de parcours. C’est de là qu’est venue l’envie de créer un espace de soutien, de sensibilisation à l’art et à la création chorégraphique, d’échange entre les professionnels et le public, tout en rassemblant plusieurs esthétiques.
En échangeant avec des collègues, et au travers de mon expérience à la fois de danseuse et chorégraphe, j’ai réalisé qu’il y avait des enjeux supplémentaires liés aux femmes chorégraphes. Et même si je ne me sens pas particulièrement militante, j’ai bien senti qu’il était intéressant nécessaire de créer un espace pour se saisir de ces questions.
Sur le chemin de la création de l’événement j’ai aussi lu l’étude de l’association des Centres chorégraphiques nationaux (ACCN) sortie en 2023, liée à leur chantier sur l’égalité femmes-hommes débuté en 2021. Cela a formalisé des constatations, a mis des chiffres sur des intuitions. Comme le fait qu’il y a une majorité de femmes dans le secteur de la danse, mais davantage d’hommes aux postes de direction, de structure et de programmation. J’ai pu prendre contact avec des personnes qui y avaient participé et Moving forward s’est aussi construit avec l’appui de cette étude, confirmant ce que j’avais déjà imaginé pour l’événement.
FT : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes danseuses, danseurs et chorégraphes qui débutent dans ce domaine ?
LD : Rester ouvert à tout ce qui peut inspirer, ce qui peut varier d’une personne à l’autre. Continuer de se nourrir et garder la posture de celui qui apprend. C’est assez naturel pour des personnes qui se ressentent artiste, mais garder ces temps-là et leur donner une forme de priorité peut être assez important. Et garder une rigueur et une volonté de travail, mais les danseurs ont généralement déjà ça, parce que la profession le requiert.
Sources :
Etude de l’ACCN : L’égalité femmes hommes dans les directions des Centres chorégraphiques nationaux
Lien vers la campagne de financement participatif : Moving forward célèbre les femmes chorégraphes - Ulule
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